Un jeune homme va aborder les trois demoiselles derrière : "Excusez-moi je voudrais pas vous enfoncer mais..." et, cynique, je lâche : "Tu parles, bien sûr qu'il veut les enfoncer." et Angie s'étrangle de rire.
Après être passées dire bonjour dans un de nos cafés préférés, je pousse la porte du pub, tape la bise au barman qui avait demandé à ce que je revienne. Parfois j'y allais uniquement pour le voir, non qu'il y ait quoi que ce soit d'ambigu, simplement pour le plaisir de discuter avec quelqu'un d'épanoui, bien dans sa tête, bien dans sa vie. Je me perchais sur un tabouret au bar, coude à coude avec les autres piliers de comptoir, et j'éclusais un ou deux litres de bière, parfois accompagnée de sirop de caramel. J'étais la plus jeune, et la seule nana, pas celle qui buvait le plus, non, mais j'accusais une descente respectable, ou honteuse, question de point de vue.
Alors hier, Angie et moi nous sommes perchées sur les tabourets, avons commandé des bières, et discuté.
Et puis, un type est entré, m'a fixée, s'est planté juste en face de moi, son visage à une quinzaine de centimètres du mien, ses yeux inexpressifs, noirs, liquides, plantés dans les miens, et, agacée, mal à l'aise, j'ai lâché : "Qu'est-ce que tu veux ?!", et le type a enlevé son bonnet, je le connaissais, c'était pire en fait qu'un inconnu qui me fixait, c'était quelqu'un que je n'avais jamais apprécié, quelqu'un dont je me foutais éperdument et que je n'avais aucune envie de voir, tandis qu'Angie sortait son grand sourire spécial oh-tiens-ça-me-fait-plaisir, et que le barman se demandait ce que me voulait ce type à l'air louche.
Quant à moi, j'ai arboré mon air indifférent, fermé, terne, l'air de la fille qui n'a rien à dire, ne sait rien faire à part suivre sa copine, lève le coude un peu trop, la ratée, la fille à qui on a pas envie de parler, ça a fonctionné, il s'est très vite désintéressé pour se tourner vers Angie, je n'ai même pas essayé d'écouter ce qu'ils se disaient, à part au bout d'un moment : "Hey toi !", je me tourne, il pointe un doigt accusateur vers moi : "Tu ne m'as jamais rappelé pour ton tatouage."
Effectivement, mais je vais peut-être arrêter les frais avec mon corps au bout d'un moment.
J'ignore sa réflexion d'un air grognon et replonge le nez dans ma bière, bien plus intéressante. Mon portable vibre, décidément, c'est la folie ce soir, voilà ce que je pense ironiquement. Je ne connais pas le numéro mais reconnais le surnom qu'on m'attribue, je réponds, me demandant ce qu'on me veut. La situation se clarifie assez vite : "Viens chez N., y'a S. et moi." Ben voyons. Toute seule avec trois types, vous me prenez réellement pour une conne.Surtout que ce n'est pas la première fois qu'il tente de m'attirer dans un traquenard, le petit con.
A ce stade là, je commence à trouver la soirée réellement merdique, et je réponds que je n'ai pas la tête à bouger.
Je tends mon téléphone à Angie pour qu'elle lise les messages, elle arque ses jolis sourcils, puis me regarde avec des yeux ronds. Je hausse les épaules, recommande une bière. Un autre message, disant que ce n'était pas ma tête qu'il avait envie de voir. Ah donc tout est clair, c'était bel et bien mon cul mes seins, classe, élégant. Angie commence à se foutre en pétard, le barman regarde ma mine blasée, je lui en touche deux mots, il secoue la tête d'un air dépassé, sauf que moi je suis juste déprimée.
Un autre message, disant qu'il a envie de moi.
Et un dernier, que je vais citer mot à mot : "Réponds au moins, envoies moi chier, fais quelque chose."
A ce moment là, je me dis que certains mecs sont décidément flippants.
Je n'ai donné suite à aucun des trois derniers messages, j'ai avalé ma bière d'un trait, puis nous sommes allées acheter de la bière à l'épicerie du coin après avoir dit au revoir et promis de revenir ce soir.