Samedi 29 janvier 2011 à 14:58

Dans un fast-food dégueulasse, dans la lumière blafarde, trois jeunes filles sont assises. Angie et moi sommes juste derrière elle, à pouffer de rire entre deux bouchées, la salle est pleine d'ados mais nous sommes bien plus déchaînées qu'eux.
Un jeune homme va aborder les trois demoiselles derrière : "Excusez-moi je voudrais pas vous enfoncer mais..." et, cynique, je lâche : "Tu parles, bien sûr qu'il veut les enfoncer." et Angie s'étrangle de rire.
Après être passées dire bonjour dans un de nos cafés préférés, je pousse la porte du pub, tape la bise au barman qui avait demandé à ce que je revienne. Parfois j'y allais uniquement pour le voir, non qu'il y ait quoi que ce soit d'ambigu, simplement pour le plaisir de discuter avec quelqu'un d'épanoui, bien dans sa tête, bien dans sa vie. Je me perchais sur un tabouret au bar, coude à coude avec les autres piliers de comptoir, et j'éclusais un ou deux litres de bière, parfois accompagnée de sirop de caramel. J'étais la plus jeune, et la seule nana, pas celle qui buvait le plus, non, mais j'accusais une descente respectable, ou honteuse, question de point de vue.
Alors hier, Angie et moi nous sommes perchées sur les tabourets, avons commandé des bières, et discuté.
Et puis, un type est entré, m'a fixée, s'est planté juste en face de moi, son visage à une quinzaine de centimètres du mien, ses yeux inexpressifs, noirs, liquides, plantés dans les miens, et, agacée, mal à l'aise, j'ai lâché : "Qu'est-ce que tu veux ?!", et le type a enlevé son bonnet, je le connaissais, c'était pire en fait qu'un inconnu qui me fixait, c'était quelqu'un que je n'avais jamais apprécié, quelqu'un dont je me foutais éperdument et que je n'avais aucune envie de voir, tandis qu'Angie sortait son grand sourire spécial oh-tiens-ça-me-fait-plaisir, et que le barman se demandait ce que me voulait ce type à l'air louche.
Quant à moi, j'ai arboré mon air indifférent, fermé, terne, l'air de la fille qui n'a rien à dire, ne sait rien faire à part suivre sa copine, lève le coude un peu trop, la ratée, la fille à qui on a pas envie de parler, ça a fonctionné, il s'est très vite désintéressé pour se tourner vers Angie, je n'ai même pas essayé d'écouter ce qu'ils se disaient, à part au bout d'un moment : "Hey toi !", je me tourne, il pointe un doigt accusateur vers moi : "Tu ne m'as jamais rappelé pour ton tatouage."
Effectivement, mais je vais peut-être arrêter les frais avec mon corps au bout d'un moment.

J'ignore sa réflexion d'un air grognon et replonge le nez dans ma bière, bien plus intéressante. Mon portable vibre, décidément, c'est la folie ce soir, voilà ce que je pense ironiquement. Je ne connais pas le numéro mais reconnais le surnom qu'on m'attribue, je réponds, me demandant ce qu'on me veut. La situation se clarifie assez vite : "Viens chez N., y'a S. et moi." Ben voyons. Toute seule avec trois types, vous me prenez réellement pour une conne.Surtout que ce n'est pas la première fois qu'il tente de m'attirer dans un traquenard, le petit con.

A ce stade là, je commence à trouver la soirée réellement merdique, et je réponds que je n'ai pas la tête à bouger.

Je tends mon téléphone à Angie pour qu'elle lise les messages, elle arque ses jolis sourcils, puis me regarde avec des yeux ronds. Je hausse les épaules, recommande une bière. Un autre message, disant que ce n'était pas ma tête qu'il avait envie de voir. Ah donc tout est clair, c'était bel et bien mon cul mes seins, classe, élégant. Angie commence à se foutre en pétard, le barman regarde ma mine blasée, je lui en touche deux mots, il secoue la tête d'un air dépassé, sauf que moi je suis juste déprimée.
Un autre message, disant qu'il a envie de moi.
Et un dernier, que je vais citer mot à mot : "Réponds au moins, envoies moi chier, fais quelque chose."
A ce moment là, je me dis que certains mecs sont décidément flippants.
Je n'ai donné suite à aucun des trois derniers messages, j'ai avalé ma bière d'un trait, puis nous sommes allées acheter de la bière à l'épicerie du coin après avoir dit au revoir et promis de revenir ce soir.

Vendredi 28 janvier 2011 à 16:08

Ca y est, elle est morte.
Quand le téléphone a sonné à 9h15, j'ai su.
A l'arrière du 4x4 de mon père, qui nous emmenait à la maison de retraite, j'avais le crâne vide. Je ne pleurais pas. Je me taisais, surtout.
Et puis, nous sommes arrivés. Des gens que je ne connaissais pas, parce que je n'ai jamais mis un orteil là-bas, sont venus nous présenter leurs condoléances. J'étais détachée, horriblement détachée, je tenais ma toute petite maman par les épaules, et elle pleurait dans le creux de la mienne. Nous sommes montés dans la chambre, quelque part une vieille hurlait. Mon père est reparti. Je suis restée dans la chambre de ma grand-mère morte, son cadavre dans le lit, je suis restée là entre ma mère et mon oncle que je n'avais pas vu depuis 15 ans, qui ne m'a même pas fait la bise, plantée là comme un piquet, à voir ainsi ce cadavre, ce corps vide, sans vie, terrorisée et malheureuse.
Mécaniquement, je me suis mise à pleurer.
J'ai fumé comme un pompier, ensuite.
Je me suis souvenue que mon anniversaire tombait le même jour que celui de ma grand-mère, qui était là, et pas là. Plus là.
Ma mère est partie aux pompes funèbres, j'ai du rester là, toute seule, à attendre mon frère, toute seule dans la chambre, sans quitter des yeux son visage aux paupières si closes.
J'ai eu besoin du photographe, viscéralement, besoin qu'il me serre dans ses bras, m'embrasse les cheveux, j'ai eu besoin de sa présence forte et rassurante, mais il est loin, et pour longtemps, peut-être même pour toujours.
Mon frère est arrivé. Mon oncle. J'ai entendu parler de cercueil, de crémation, de fleurs, de funérarium, de notaire, j'étais juste là pour que le regard perdu de ma mère puisse s'accrocher au mien, pour rien d'autre.
Et puis, quelqu'un nous dit : "Vous avez perdu vos grands-parents jeunes."
Et c'est vrai, à près de 22 ans, je n'ai plus de grands-parents.

Je pleure pour tous les décès que j'ai connus, mes grands-pères, mes grands-mères, mes tantes, je pleure pour ma mère, je pleure à cause de ce vide intense, je pleure comme une madeleine.

Je pleure beaucoup trop, ces derniers temps.

Lundi 24 janvier 2011 à 23:08

Comme souvent, les mots posés. Souvent des mots trop vite jetés, abandonnés, des mots que je n'ai pas pesés. Souvent un cri brouillon et puéril, un appel dans le vent, car je n'adresse jamais mes lignes.
Défaitiste, réaliste, pessimiste, fataliste, on m'a bien souvent attribué ces adjectifs, mais quand je regarde ma chambre jonchée de vêtements, de chaussures, de livres entamés, de bandes dessinées, de paquets de cigarettes vides, je ne peux que me dire que ce bordel me reflète bien mieux que n'importe quel miroir. Et cette odeur de rose et de tabac froid toujours dans mon sillage.
Malgré ma mini-jupe à carreaux, plissée, dont la limite marque parfaitement la fin de mes fesses et mon joli chemisier blanc dont le col dépassait sous mon pull noir, je ne faisais toujours pas bcbg. A cause de ma tignasse comme une crinière, comme ils disent, des mes bottines plate-forme, de la bague à mon pouce ou du noir à mes yeux, peut-être un mélange de tout ça, effectivement.
Fatale. Il disait ça de moi. "Tu es fatale." Il me disait ça comme il me disait que je n'avais jamais ni froid, ni mal, comme il me disait "glaciale".
Il était l'insaisissable, je n'ai pas même recroquevillé le bout de mes phalanges sur son être si fragile.
Il était traître et menteur à sa façon, mais c'était ainsi. C'était ce que j'avais choisi. Je savais son départ au bout, et la douleur, fatalement, je savais que je ne m'épargnerai pas les regrets ni la tristesse, que plus je l'aimerai, plus je le payerai.
Je ne regrette pas cette alliance de fous. Je ne lui en veux pas d'être parti. Je ne lui en veux pas d'avoir trahi. J'avais choisi. Et jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il revienne ou non, jusqu'à ce que je me lasse ou qu'il me fuit, Loup, je le choisis.
En silence et sans éclat, sans qu'il ne le sache.
C'est perdu d'avance, je le sais, je me suis trop raccrochée à des choses bancales, peut-être des illusions, j'ai abandonné dès le départ, dès l'évocation de son départ. Tant qu'il me nourrissait un peu, qu'il nourrissait ma folie, je pouvais être gaie et faire semblant d'espérer, je pouvais me justifier. Maintenant qu'il est loin et que sa voix a tari, que j'ai mal et qu'il fuit, je sais que je n'ai plus aucune raison, aucune excuse, rien.
Je reste comme il aime que je sois, fière, silencieuse, sarcastique et souriante. Douce, parfois.
Peut-être que je suis un peu trop conne, un peu trop naïve, un peu trop bonne poire, probablement.
Qu'est-ce que ça change. Il est parti.
Il ne me reste rien de lui. Rien. Il est parti comme il avait dit qu'il le ferait. Je ne pense pas qu'il reviendra. Je ne pense pas que mon sourire le ramènera, mais mes larmes non plus.
Alors je reste fière, silencieuse, et parfois nous parlons un peu.
Et d'un seul coup j'ai chaud, tellement chaud, et la tête me tourne, mon palpitant déconne, je veux oublier, parce que la vodka me fait seulement pleurer et que les cigarettes me cassent la voix, ma voix qu'il disait si sensuelle, Loup, il faudrait qu'il reprenne tout, ma mémoire et les promesses, ma mémoire et tout le reste, mais il est trop tard.
Loup, à l'autre bout du monde, moi à Paris.
La ville des amoureux est si triste.

Vendredi 21 janvier 2011 à 17:55

Tout le monde rêve d'Amérique. Tout le monde veut y aller, va y aller, je vois ça partout sur Facebook, des photos de NYC, Raleigh, San Francisco, Los Angeles, Las Vegas, Death Valley... Moi je suis un trajet sur une carte, je compte les heures de décalage horaire, et je tente de faire revenir quelqu'un avec la seule chose que je peux lui offrir : mon sourire. Lutter contre un pays, une culture, des paysages avec seulement des zygomatiques, une fossette, une lueur dans les yeux.
Perdu d'avance.

J'ai fait un rêve de fête foraine, je voulais faire plein d'attractions, mais je ne pouvais pas y monter, même si des places restaient encore, le manège démarrait pile quand je me précipitais.
C'était le coucher du soleil au beau milieu d'un paysage désolé,dans une lueur triste, il y avait beaucoup d'orange. Une tête de mort surmontait le grand huit, énorme.

Je suis rentrée avec le premier bus ce matin, les bouteilles de vodka étaient vides.
J'ai eu une horrible migraine toute la journée, et mon estomac me brûlait. Je suis restée au fin fond de mon lit presque tout le temps que le jour a duré, mon chat blotti contre moi.

Et si j'avais parlé, cela aurait pu être différent, je pleure et je répète qu'on aurait pu être heureux si on avait été moins fiers, je dis que c'est trop con en tirant nerveusement sur ma cigarette, et le regard désolé d'Angie sur mon visage blême. Je dis que dans le fond, j'ai été très très lâche, que j'ai choisi la facilité, je me mords la lèvre, je dis que je l'ai laissé tout seul, tout le long, je l'ai laissé tout seul, je l'ai abandonné, je m'en veux comme jamais. Maintenant il est trop tard, bien trop tard.

Elle, elle me parle du vide, de ce vide terrible et de cet oubli qui l'engloutit. Elle me demande d'appuyer là où elle a mal, et, désolée, je le fais. Parce que sans ça, elle ne ressent rien.
Elle a la voix cassée, rauque, et j'aime sa voix quand elle est brisée ainsi. Je la prends dans mes bras, sa tête appuyée contre moi, j'embrasse ses cheveux. Il n'y a qu'elle que je peux protéger ainsi, c'est une des rares personnes qui me connaît étonnamment bien et que pourtant je réussis à toucher.

J'ai cette grosse boule dans la poitrine qui m'oppresse, si je me forçais un peu, je pourrais pleurer, mais je ne le ferai pas.
J'ai promis de toujours sourire, et j'ai assez pleuré pour aujourd'hui.

Je regarde des séries dérangeantes entre deux verres de grenadine, ma meilleure amie des jours de gueule de bois, je me force à ne pas fumer car ma gorge me brûle de toutes les cigarettes de cette nuit. Je veux retourner travailler et ne pas penser. Surtout ne pas penser.
Ne plus avoir de nouvelles. Et puis oublier.

Mardi 18 janvier 2011 à 19:33

http://smoking.gun.cowblog.fr/images/luckystrike5809.jpg

Tac tac tac.
J'allume ma cigarette.
Les pas sur le bitume, le rush de la fin de journée, je suis dans la masse, le nez dans mon écharpe entre deux bouffées mais le blouson ouvert. Je ressasse les mêmes choses, toujours, l'absence, le vide, la fatigue, la solitude, toutes ces conneries, surtout je pense à l'orgueil intimement lié au masochisme sentimental. "Non tu vois, non, moi je n'ai pas mal, moi je n'ai pas de coeur !" Parce que oui, dire à quelqu'un qu'il fait souffrir, qu'il irrite, qu'il brûle, qu'il agace, c'est lui donner de l'importance, lui donner un pouvoir.
Je nie en bloc.
On m'a souvent dit que mon orgueil me perdrait. J'en suis bouffie. Bouffie autant que peut l'être un visage d'alcoolique, comme le sien parfois au lendemain d'une cuite mémorable, bouffi et rouge, tandis que le mien est blême et creusé de cernes, tout comme dimanche matin après une nuit où j'ai encore clairement assumé mes vices, me roulant sur un lit en hurlant d'un rire hystérique et incontrôlable, à chercher mon souffle entre deux cris stridents, mon souffle haletant, hoquetant, je perds l'équilibre et me rattrape du bout de la bottine.
Finies les larmes, rions, rions, encore.

Et toujours cette révolte adolescente au fond, l'oeil froid barré d'une mèche rebelle, les talons trop hauts, le buste très droit, non je ne m'incline pas, je ne m'inclinerai pas, je ne lâcherai pas l'affaire, je ne me laisserai pas mettre une laisse au cou, je ne suivrai personne nulle part.
Je suis tellement têtue.
Je veux qu'on me pousse dans mes retranchements, à la limite du supportable, et résister encore et encore, résister jusqu'au bout, même aux abois, pourvu que mon compagnon de jeu soit assez intelligent pour abdiquer, et partir ou accepter, alors enfin je m'apaiserai.

Je n'ai pas peur de perdre, parce que je sais ce que c'est, tout comme je n'ai pas peur d'avoir mal, ni d'être vide, ni d'être seule.
Ce qui me donne le vertige ?
L'incertitude.

Un jour je grandirai.

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