Jeudi 28 juillet 2011 à 12:16

 Je suis partie, j'ai tout trié, loué une voiture, il pleuvait et le ciel disait un peu ma mélancolie.
Nous avons marché la nuit au milieu des bois, longtemps, j'étais épuisée, sous mes baskets des pierres roulaient, la lune éclairait nos pas au milieu d'une éclaircie.
Je ne suis pas encore à Bordeaux mais quelque part entre deux, ici il n'y a pas un bruit, pas un avion, rien, la nuit est noire et parfois une étoile file et raye le ciel, un voeu à la clé auquel personne ne croit jamais. Le temps passe doucement et vite à la fois, les journées s'étirent sans que je n'en retienne rien, les heures glissent sur moi comme de l'eau. J'ai un énorme bleu au bras sans savoir pourquoi, et d'autres ailleurs dont je connais la provenance.
On vit au rythme de la pluie et des éclaircies, et ce matin, enfin, le soleil nous aveugle quand, pieds nus sur la terrasse, nous avalons notre café et fumons notre première cigarette.
Loin de Paris, je réussis à étouffer ma jalousie, à la museler, loin de Paris je sais que tout va bien. Non pas que j'ai eu de bonnes raisons de l'être, mais je ne pense pas avoir besoin d'expliquer.
Le vent sèche nos vêtements sur la corde à linge et bruisse dans les bambous.
Enfin je me repose.

Samedi 9 juillet 2011 à 11:37

 J'ai la bouche sèche, le corps un peu vague. En nuisette sur le canapé, la cigarette au bec et puis l'air frais s'engage par la fenêtre ouverte. Il dort, de toute façon j'écris toujours lorsque le sommeil le tient, histoire de savourer mon café noir toute seule et d'apprécier le relatif silence du matin. J'ai des cartons à faire, cet après-midi, je dois trier ma vie et des centaines de lettres avortées dans un tiroir, des lettres que je n'emmène pas, des lettres que je ne garderai probablement pas. Avec le temps, tout passe, et la blessure des Yeux Verts finit par s'estomper, cette histoire de deux cinglés qui ne s'entendaient pas mais qui s'aimaient, très fort, trop fort, trop mal, jusqu'à la violence. Il m'en reste tout de même la méfiance, la jalousie et puis l'orgueil, cette fierté qui retient lorsque tout lâche.
Je me quitte un peu en partant, les joies, les peines d'ici, j'y repenserai, je les raconterai tout en songeant : "C'était dans une autre ville que celle-ci." Il va falloir de nouveau joncher mon chemin de souvenirs, de signes secrets, des jalons qui me crieront du passé, du passé tout neuf. Semer des souvenirs comme des repères.
Je ne reverrai probablement pas le photographe à Paris, il dit qu'il sent toujours mon odeur. Et je tente d'imaginer ce que c'est pour lui de sentir l'odeur d'une fille connue à Paris en plein milieu de Montréal, mélange de mon parfum à la rose et de mon parfum naturel. Il aimait ce que j'écrivais, il craignait mes sautes d'humeur et ma fragilité, c'était ce qu'il y avait de plus sensé. Et puis, ce long, très long décompte jusqu'à son départ, ma phrase en forme de conclusion : "C'est passé trop vite..." 
Et aujourd'hui, c'est moi qui m'en vais.

Lundi 4 juillet 2011 à 18:17

En fait, ce n'est que le long récit du temps qui passe, la chronique de paumés qui se soignent. On a pas de combat, pas comme certains que je vois lutter pour un idéal social, politique ou religieux, pas de rêve, pas comme ceux qui s'arrachent à l'autre bout de monde pour se penser un peu libre et fuir un peu mieux, on reste par fierté, parce qu'on ne veut pas plier, ni fuir, ni suivre, rester par lâcheté aussi.
Vendredi quelqu'un m'a dit que j'avais vu pas mal de choses dans ma vie, je l'ai regardé avec des yeux ronds, je me considère comme faisant partie de ceux qui ont une vie somme toute banale, voire médiocre.
En fait oui, nous devrions peut-être partir un peu, pas trop, revenir, on devrait aller s'aérer le crâne au bord de la mer ou près d'un vagabond, quelque chose comme ça. Partir en prenant le premier train pour ailleurs ou pour nulle part, respirer largement, changer un peu le quotidien et les rituels instaurés depuis trop d'années.
On devrait grandir et faire péter les coutures de nos vies, défaire les ourlets de nos pudeurs, et puis crier que oui, peut-être que tu as raison et que la vie est une pute, mais que j'éprouve beaucoup de sympathie pour les filles de joie.


De vieux mots oubliés, et voilà, je remets le nez dedans.

Dimanche 3 juillet 2011 à 10:53

 Et parfois l'envie de redevenir une petite fille, glisser sur un toboggan, manger du chocolat.
Je sais désormais quand je romprai mon contrat, je sais à peu près quand nous déménageons, je vais quitter Paris la putain, et j'ai encore un peu traîné dans ses rues, ses banlieues. La Fête de la Musique à Montmartre, un concert, nous partons pour Pigalle pour une obscure raison et échouons dans un bar à côté d'un bar à putes. Pigalle à trois heures du matin, ma tunique s'arrête sous les fesses et je ne porte que des collants dessous. Il a plus peur pour moi que moi j'ai peur, j'ai envie de rire, mais peur de froisser. En rentrant, nous croisons un type qui se retrouve à la rue suite à une engueulade avec sa douce, je tire sur la manche des Yeux Bleus, il comprend l'appel : "Ecoute, si tu veux, on a un canapé, tu peux venir à l'appart', c'est pas très loin." Le type a décliné l'invitation, on s'est éloignés après avoir dit : "Si tu changes d'avis, cours-nous après, on a picolé, on marche pas vite."
Bien évidemment le mec ne nous a jamais couru après.
Angie, quant à elle, a déménagé, déjà, j'ai chialé comme une madeleine pendant au moins une heure, on ne se refait pas, je me suis contrôlée pour ne pas hurler comme une bête tellement ça faisait mal.
Un concert sur un lac, du Mojito et d'autres mélanges divers en bouteilles plastique, des bières, la foule saute à l'unisson le bras en l'air, un cri unique sortant de mille gorges, et l'odeur de la beuh dans tout ça, les Yeux Bleus joue au garde du corps.
Allô Paris, tout est fini...
La fin d'une époque, je quitte mes repères (repaires !) pour l'inconnu, je m'en vais, et froidement je préviens ce garçon que pourtant rien n'est joué. 
Je me demande si un jour je reverrai le photographe à Paris, ou même si je le reverrai, il n'y a pas si longtemps, tout commençait, une longue série d'attente, d'espoir et de réconfort, ma première histoire de grande fille.
Tous ces souvenirs dans ces villes, ces rues, j'ai l'impression de voir mes pas imprimés dans le goudron, et puis mes joies et mes peines sur les murs, rien ne m'empêche d'être nostalgique. Paris restera en lettres capitales dans ma vie.
Désormais, autre chose est à écrire.

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