Mardi 31 mars 2009 à 17:17

Desfois, quand je marche avec lui, j'ai envie de m'arrêter et de lui demander brusquement : "Mais t'es qui, toi ? T'es qui pour parler de ce que j'ai été, de ce que je suis ? T'es qui pour dire que tu connais ce que je tais ?" Mais ce serait déjà en dire trop, ce sera déjà montrer la faille, celle qu'on se doit d'ignorer. Pour qu'il me dise encore : "On dirait parfois que tu t'en fous. Que ça ne te touche pas."
Je donnerais tout ce que j'ai pour d'autres nuits furieuses, parfois, quand je me sens à nouveau dérailler, quand j'ai à nouveau le vertige au bord des quais. Je serais même prête à prendre à nouveau ces trains sous lesquels j'aurais mieux fait de me jeter, je serais même prête à répondre à nouveau aux appels que j'aurais du rejeter.
Peut-être que si ça avait valu le coup on en serait pas là, peut-être que je serais pas assise face à mon clavier à avoir envie de gerber. Il dit qu'on en aura encore, de beaux jours. C'est peut-être pas la même histoire, mais dans le fond c'est le même sac de merde que lui que tu te trimballes, et il faudra arrêter de fermer les yeux à un moment ou à un autre. J'ai pas changé. J'ai fait comme si.
Pourtant, j'y ai mis toute ma bonne volonté, mais je peux pas non plus vouloir à ta place. Il fallait savoir regarder la merde en face, et pas la balayer d'un revers de la main quand je t'en parlais. Il fallait savoir voir ce qu'il y a de tordu et de sombre, au lieu de faire comme si on était beaux, neufs et innocents. J'ai voulu coller à ton rêve, mais je n'y ressemble pas, avec mes manières de pétasse. Je peux pas changer, même mieux, je veux pas changer. Tu t'es trompé sur moi, t'as pas la bonne image de moi, t'es trop naïf, tu fais comme si tu savais mieux que moi ce que je suis, mais tu te goures, Bébé, tu te goures. Je ne suis pas une petite Poupée toute fraîche.

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Mardi 24 mars 2009 à 19:37

"Maintenant je sais une bonne fois pour toutes qu'on ne chasse pas les images, et encore moins les brèches invisibles qui se creusent au fond des ventres, on ne chasse pas les résonances ni les souvenirs qui se réveillent quand la nuit tombe ou au petit matin, on ne chasse pas l'écho des cris et encore moins celui du silence."

"Alors Lucas entre dans une rage folle, il la plaque contre le mur, il se met à hurler, il est hors de lui, je ne l'ai jamais vu comme ça, il hurle qu'est-ce que tu fais, No, qu'est-ce que tu fais, il la secoue à toute force, réponds-moi, No, qu'est-ce que tu fais ? No serre les dents, les yeux secs, elle le regarde sans répondre, elle ne se défend pas, elle le regarde avec cet air de défi, et je sais bien ce que ça veut dire, il la tient par les épaules, et moi je crie arrête arrête et j'essaie de le retenir, elle le regarde et ça veut dire qu'est-ce que tu crois, comment tu crois qu'on peut s'en sortir, comment tu crois qu'on peut sortir de cette merde, je l'entends comme si elle hurlait, je n'entends que ça. (...)"

"Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'oeil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque."

"Alors je pense que la violence est là aussi, dans ce geste impossible qui va d'elle vers moi, ce geste à jamais suspendu."
No et moi,
Delphine de Vigan

Je l'avais compris quand j'ai cessé de pleurer. Je croyais que c'était ça, pourtant, la souffrance et le chagrin, ces grosses larmes qui ne s'épuisaient pas. J'ai compris que ce n'était pas ça quand il y a eu le gouffre dans le ventre, et quand je mordais ma lèvre jusqu'au sang. Du matin au soir ce trou dans le ventre qui ne me quittait pas et dont j'ai si souvent parlé, ce putain d'abîme dont je ne voyais pas la fin, et qu'il fallait bien essayer de combler. Avec tout et surtout avec n'importe quoi, et il en fallait toujours plus, et on était tous là à le sentir, ce truc vide qui pesait une tonne au fond de nous. Alors il a fallu apprendre à ignorer, et à éviter les miroirs, pour ne pas se dire qu'on allait tous finir par crever. Il fallait vivre comme si c'était possible. Tant pis si ça incluait de se vautrer dans tout ce qu'on trouvait, et tant pis si le vide paraissait plus épais encore.
C'était ça, ma violence.
J'ai eu 20 ans, ces derniers jours.

Jeudi 19 mars 2009 à 21:57

Repasser par la Porte de Clignancourt et serrer bien fort les bras contre son corps, les mains contre son ventre, se taire. Ca faisait une éternité que je n'étais pas passée aussi près.
Il faut parfois savoir fermer les yeux sur le passé.


Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

LOUIS ARAGON

Mercredi 18 mars 2009 à 21:58

Les jours s'étirent et sont infiniment semblables et uniformes. Seules des miettes restent, quand parfois mon coeur rate des battements, et que je doute, ou que je me souviens. Il fait trop froid dans les bureaux et la politesse est forcée, anesthésiée et abrutie par la routine, déjà. Mely et moi parions sur le clochard qui vaincra quand ceux d'en face se battent parce qu'il faut bien passer le temps. T et R ne sont jamais repassés, mais ça on le savait aussi bien l'une que l'autre, et parfois L.A vient me déclamer du Baudelaire, et m'arracher des sourires.
J'ai l'impression de croiser des visages que j'ai connus partout, ça me donne une envie dingue de me taper la tête dans les parois du métro tellement j'en ai le vertige, tellement je voudrais ne pas fixer ces visages et m'accrocher à la moindre ressemblance, et chasser ces doutes, cette angoisse qui remonte du plus profond. Alors je me concentre sur les stations qui défilent, j'apprends par coeur le plan de la ligne, je me perds dans les détails et descend bouleversée.
Il n'en sait rien. Je le vois, je ris et je souris. J'oublie le reste. J'ai besoin de lui pour ne pas voir ce qui se passe, j'ai besoin de sa réalité pour ne pas dérailler. Et ce n'est pas viable.

Mardi 10 mars 2009 à 22:57

Il faudrait être fière, il faudrait être forte, il faudrait parfois dire non, il faudrait moins donner et peut-être plus prendre, il faudrait être jolie, il faudrait ne pas avoir l'impression de devenir folle, il faudrait remplir ses engagements, il faudrait dormir, il faudrait moins boire, il faudrait ne pas dérailler à chaque heurt, il faudrait avoir de l'argent, il faudrait savoir haïr, il faudrait ne pas sentir son odeur partout, il faudrait ne pas être géante, il faudrait ne pas avoir un coeur d'artichaut, il faudrait tellement de choses qui ne me ressemblent pas.
Alors au bout du compte on écoute des chansons à la con en fumant comme des pompiers, on se lève le matin, on part bosser, et on fait semblant de savoir encore sourire, parfois même de socialiser, à tous trembler autour d'une cigarette dans un courant d'air glacé.

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