Samedi 30 mai 2009 à 21:29

L' et moi, on chuchotait au bord du lac, toutes nos peines et nos secrets, à l'abri dans la nuit. On a parlé de la violence ordinaire, de la violence du silence, quand on a pas la force, pas le courage, quand on ne réussit pas à sortir de soi pour hurler "Non", quand on se sent seule et tellement vulnérable qu'il ne reste que le dégoût. On a parlé des autres, pour qui une fille qui montre un quart de sa cuisse est une salope, on a parlé de la honte et des complexes qu'on ne devrait pas avoir, on a parlé des gens qui refusaient le bonheur, L' a dit : "Il y a un an, si on m'avait dit "Dans un an tu seras heureuse avec quelqu'un", j'aurais répondu que non, c'était une blague, ça n'existait pas." On a parlé du harcèlement moral, de la pression, des fantasmes de puissance et de domination, ça nous a écoeurées, bien plus que tout ce qu'on avait bu, même, alors on s'est tues. Le silence ne chassait pas les mots, ne chassait pas les images, ne chassait pas le passé. Mais au moins on était deux.


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Lundi 25 mai 2009 à 18:05

Les mots sont inutiles. Il n'y a rien à dire.
Attendre et se taire. Sourire un peu, pour la forme.

Dimanche 24 mai 2009 à 15:58

J'ai soudain ressenti l'envie de les traiter de sombres CONNARDS, tellement un drame se tramait sous leurs yeux à tous mais que personne ne voulait voir, parce qu'à ce stade-là, pour ne pas comprendre ce qu'il se passait, il fallait vraiment le vouloir. J'aurais voulu les secouer à toute force, à les remplir d'effroi jusqu'au fond de leurs entrailles pour qu'ils ressentent enfin ce qu'il fallait, dans le ton juste, sur la même vibration, pour un élan de solidarité, par compassion, ou même juste pour qu'ils vacillent devant l'horreur, devant l'impuissance si banale.
Au lieu de ça je la voyais se ratatiner comme un quartier de clémentine dont on aurait aspiré tout le jus, ça me fendait le coeur, j'aurais voulu shooter dans tout ce qui passait à ma portée, en extraire la substance et la lui faire ingurgiter, comme si ça aurait pu lui suffire. Je sais pas, on aurait sûrement pu mentir encore un peu, elle et moi, mais je la voyais s'avachir un peu plus à chaque seconde, ses yeux roulaient dans tous les sens, elle était vautrée sur la banquette, et je ne savais pas quoi faire parce que de  temps à autre elle se mettait à rire, la tête rejetée en arrière et ses cheveux emmêlés traînaient dans sa bouche, humides de la bave qui luisait à la commissure de ses lèvres.
Soudain elle m'appela, la voix rauque, elle s'aggripa à mes épaules, elle dit qu'on allait TOUS FINIR PAR CREVER, elle gueulait ça, et là encore personne n'entendait, c'était dingue, pourtant moi ça me fissurait les tympans, et elle continuait à jurer et à insulter tout le monde, comme si elle avait conscience que de toute façon ils n'entendraient pas, et d'ailleurs elle avait bien raison.
J'avais perdu la notion du temps, je tremblais seulement de rage et de désespoir, et Suzie s'était calmée depuis un petit bout de temps, maintenant elle pleurait la tête contre la vitre en répétant seulement "putain" de plus en plus fort et moi j'étais assis en face d'elle, et je la regardais, j'avais envie d'exploser son crâne dans la vitre pour qu'elle s'arrête, pour qu'enfin on puisse descendre sans avoir peur de tomber sur les flics, pour qu'elle réagisse, mais je savais qu'elle s'en serait foutue, alors j'ai attendu qu'elle s'épuise.

Samedi 23 mai 2009 à 12:03

On s'écrivait des choses comme ça :
"Et si il se passe rien, il se passe quoi ?"
ou encore :
"hier j'ai vu une strangulation à la téloch, avec les veines du cou qui saignaient et tout, et l'image ne s'en va pas"
ou bien :
"T'as un chagrin d'amour ? - Nan mais CriE absolument pas - tu mens !"
"on est dans une chambre où chaque jour on voit des gens à la porte qu'on ne reverra jamais."
"ça m'fait même pas peur. j'crois que la vraie amitié, c'est ça, merde, comme dans les romans et même bien mieux puisque c'est réel, encore un peu et ça m'ferait chialer. (...) Et comme tu dis, demain il fera jour."

En effet, jour après jour, le soleil s'est levé, il a fallu continuer à faire ce qu'on avait à faire, sagement, sans trop de remous. L' a voulu abandonner à un moment, on ne lui en voudra pas, je comprends même plutôt bien son point de vue. Hier on s'est retrouvées pour des fous rires psychédéliques, ça m'a fait un bien fou, avachie dans le jardin à boire nos bières - enfin, dans son jardin, à boire ses bières. Dix ans plus tard peu de choses ont changé, peut-être juste qu'elle ne me demande plus : "T'en veux ?" elle sait que je dirai "Oui", alors elle me colle tout direct sous le nez, on a pas à faire semblant d'être gênées, comme ça. On entendait le bruit sourd que font les raquettes qui frappent les balles, de l'autre côté de la haie, sur le court de tennis, même que je pensais qu'ils se croyaient trop à Rolland-Garros, ça me faisait rigoler.
Ca m'a changé des fuites inutiles avec notre humour de merde, à M' et moi, des piques ou des phrases que je fais semblant de bien prendre, de l'ironie à deux balles, ça m'a un peu libérée et surtout détendue. C'est sûr, lui et moi on pourrait peut-être se faire des serments grandiloquents, et cesser d'esquiver les vraies questions, mais ça ne serait pas cesser de mentir, ce ne serait même pas réellement regarder la vérité en face, ce serait seulement absurde et inutile.
Je retournerai bientôt dans son jardin.


 
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Depuis Montmartre, un soir d'été, avec L'

Jeudi 14 mai 2009 à 21:33

On restait coincés sur le sens à donner à tout cela, et des milliards de questions se trémoussaient dans nos têtes, obsédantes, sur un rythme frénétique. Qui étions-nous ? Pourquoi faisions-nous ça ? Qu'est-ce qui nous motivait ? A quoi ça tenait ? Pourquoi toujours demain et jamais aujourd'hui ? Au final, où était l'utilité ? Où commençait l'absurde ? Jusqu'à quand déformerons-nous le monde ? Qui es-tu, toi ? Est-ce qu'on peut rencontrer les autres ?
Le visage marqué par des années d'insomnie, on était encore là à se balancer nos petits sourires hypocrites à la gueule, au cas où quelqu'un éprouve encore vaguement l'envie d'y croire deux secondes. Nous n'avions rien semé sur notre route et les fils ne nous tenaient plus. Alors, plantés là, les bras ballants, on se regardait et on se souriait, avec peut-être un petit peu le désir de se cogner à s'en faire péter les phalanges. Quoique, pour ça, nous avons fini par comprendre qu'il faudrait encore posséder un petit peu de cette merveilleuse chose que l'on appelle volonté, et nous étions devenus bien trop velléitaires pour ça, pour la violence, comme pour la franchise, comme pour les larmes.
Petit à petit, nous comprenions que ça n'avait plus aucune espèce d'importance.
Nous avons fini par couper nos téléphones le soir plutôt que d'attendre des réponses. Et par préférer rester seuls avec nos envies de nous cogner la tête dans les murs et de nous démonter minutieusement. Non pas que c'était préférable. Non pas que nous espérions encore trouver des solutions. Nous n'en étions déjà plus là, et végéter semblait plus doux qu'esquisser un geste trop pesant à assumer.

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