Je me suis longtemps demandé pourquoi c'était comme ça, pourquoi cette guerre perpétuelle, pourquoi les bons souvenirs ne remontent pas malgré le temps, comme si je les avais lestés ou comme s'ils n'avaient jamais existé.
Je ne me rappelle que des cris et des humiliations, des larmes, de la solitude comme une boule au ventre, de mes mains tendues vers rien. Du mépris dans tes yeux, souvent, de la pitié parfois, jamais de compassion, ni d'indulgence. Il fallait être plus dure, il fallait être plus violente, il fallait être plus mauvaise ou plus méchante.
Je me rappelle de mes chagrins que tu ne consolais pas : "On ne pleure pas pour ça."
Depuis que je suis loin, je suis mieux, ça me troue le coeur de le dire mais c'est la vérité, une vérité qui ne serait pas bonne à te dire.
J'ai l'impression d'avoir traversé un long désert glacé et rocailleux, que mes actes n'étaient que dépit.
Depuis que j'ai rencontré ses yeux bleus, je me suis apaisée. Ca n'a pas été facile, ça n'a pas été rapide, ça n'a pas été sans douleur.
Pourtant, quand je te vois, tu as ce regard larmoyant parfois, tu me réclames, tu me tripotes, mais tu ne peux pas t'empêcher de me chercher, à trop vouloir que je sois plus douce, plus démonstrative, à trop vouloir que je te dise que tu as bien fait ton job.
Tu n'as pas besoin de mon approbation. Les choses sont ce qu'elles sont, nous ne sommes que ce que nous sommes et rien d'autre, ni plus, ni moins.
La dernière fois que je t'ai vu, je n'ai pas répondu à tes provocations. Je me suis tue, j'ai fait celle qui n'entendait pas, j'ai ignoré.
Et j'ai compris, cette affreuse compétition que tu instaures entre toi et moi, alors que nos personnalités, nos vies, ne se sont jamais ressemblées, comme si tu étais vexée que je sois ce que je suis.
Tu renchéris lorsque je dis que c'est assez, tu compares tout. 
Et lorsque ma vie, lorsque ce que je suis t'échappais, au lieu de chercher à me comprendre, au lieu de m'accompagner, tu contrais.
Lorsque j'essayais de parler de moi, tu parlais de toi. De tes opinions, de tes principes, de tes choix. Jamais des miens.
Et même maintenant, les piques continuent. "De toute façon, tu es trop grande.", "Ma robe me va mieux que la tienne", "Ah quelqu'un est mort ? Et bien chez nous aussi, ça m'a fait tellement tellement de peine, je le connaissais depuis plus longtemps que toi tu ne connaissais la personne qui est morte.", "Tu devrais faire attention tu as pris du poids il faut te méfier, regarde, moi j'ai maigri."... et lorsque je te dis que mon homme m'aime comme je suis, que je lui plais comme je suis, qu'il me trouve même plus belle qu'avant, tu me regardes avec des yeux ronds, comme si tu ne comprenais pas que ce que je suis lui plaise.
Comme tu lui dis toujours : "Elle a tellement de chance d'être avec toi, tu dois vraiment faire preuve d'énormément de patience pour la supporter."
Je ne suis pas si mauvaise, tu sais. Aujourd'hui je sais qu'on peut m'aimer, et que je ne suis pas un problème. Je sais qu'on peut m'aimer, m'aimer vraiment, entièrement, même avec mes sales côtés, que mes défauts ne sont pas insupportables, et mes qualités pas si pauvres. Je sais même qu'il n'est pas si difficile de m'aimer.

Tu ne fais pas exprès d'être comme ça, Maman, mais c'est terrible quand même.

C'est terrible que tu aies pu traiter ta fille de putain, terrible que tu aies réussi à me dire que tu me méprisais, terrible qu'aujourd'hui soit comme il y a 10 ans.

Mais c'est comme ça. Un jour peut-être, toi aussi tu auras envie d'enterrer la hache de guerre, toi aussi tu auras envie de me laisser tranquille comme je te laisse tranquille, peut-être qu'enfin tu te diras que je suis différente de toi, et que ce n'est ni bien, ni mal.