Lundi 23 février 2009 à 22:32

Nous non plus nous ne savions pas quelle direction il fallait prendre. Hésitants sur le pont, le regard perdu sur la Seine, nous restions plantés là, indécis. Jusqu'à ce qu'elle me prenne par le bras et parte en trombe. Je l'interrogeai d'un regard, elle haussa les épaules, elle non plus elle ne savait pas, mais il valait mieux bouger que de laisser le froid nous engourdir et les regrets nous engluer. Je me retournais, ils n'avaient pas bougé d'un poil, collés au bitume, à lâcher des rires trop bruyants, des rires de gens faussement sûrs d'eux, et peut-être bien qu'ils allaient finir par s'asseoir et  par vider quelques bières, pour tuer le temps.
Elle me tenait toujours par le bras, elle marchait sans parler, sans me regarder, droit devant elle. Je sentais confusément qu'il y avait une raison pour que ce soit mon bras qu'elle ait saisi, et pour que malgré son absence elle garde le sien contre mes côtes. Il me semblait que si je la lâchais je la perdrais. Il me semblait que nous allions marcher ainsi jusqu'au bout de la nuit.

Lundi 16 février 2009 à 14:42

"Parce que tu crois que j'en ai quelque chose à foutre, de ta putain de carte de merde ?! Je peux la balancer quand je veux, merde.
- Jette-la, alors. Qu'est-ce tu veux que ça me foute.
- Aucun problème, ça me fera même plaisir.
- Y'a qu'être un conard qui t'fait bander, 'faut croire."

Tout ça pour faire demi-tour et aller la rechercher sur la route, boueuse et fripée, comme si cela suffisait à oublier. Mais c'est comme si c'était moi que t'avais laissée là-bas, t'y as laissé tout ce que je suis, et même si tu es retourné la chercher, elle est dégueulasse maintenant, et moi c'est pareil, je me sens dégueulasse. Ne fais pas semblant de comprendre, laisse-moi au moins ça, tu ne peux quand même pas tout prendre.
Je suis retombée, encore une fois, sur de vieux mots qui devaient avoir un sens auparavant, et désormais il arrive ce que j'ai si longtemps redouté : je ne comprends plus. Je sais juste que sur le coup cela semblait logique, mais je ne comprends plus du tout. Je reste là, hésitante, étonnée devant l'assurance de mes mots, devant leur colère parfois, et je cherche, je cherche ce qui pouvait justifier tout ça. Et je n'ai même pas des bouts de début de réponse. Cela demeure vaguement angoissant, de ne plus du tout savoir le pourquoi de tant de désespoir.
Le week-end a été alcoolique, entre mojito, bières, vins, champagne, martini et vodka, mais il fallait bien ça, je crois.

Mardi 10 février 2009 à 22:36

Je vaque à mes occupations et passe mes partiels fort peu brillamment. Sur la banquette en skaï le garçon à ma gauche me disait bel et bien quelque chose, et oui, c'était lui, l'ami de mon amour de jeunesse, il faut toujours que ça tombe au détour d'une journée venteuse et pluvieuse, d'une journée morne et sans éclat.
On nous parle d'ambition, je sais juste que dans un peu plus d'un mois je serais en stage et je finirais tous les jours à 22h, et d'autres choses décousues et sans aucun rapport les unes avec les autres me reviennent en mémoire, les spectacles de magie, les fous rires idiots et tardifs, le besoin de chaleur désespéré, les cafés, l'angoisse au coeur de la nuit et puis aussi la solidarité inattendue.
Je ne baisse plus la tête à Miromesnil, au contraire, je la redresse et je n'attends que de le croiser, que de décharger toutes ces choses immondes sur lui, je suis patiente, je sais que je le croiserai entre deux rames ou même plus près de chez moi, au détour d'une rue, ou dans ce café où nous avions nos habitudes, je sais que je le reverrai. J'attends seulement, et je souris d'être aussi muette quand je fantasme cette scène, de vibrer si intérieurement, si innocemment aux yeux des autres. J'ai le temps, c'est même une des seules choses que j'ai.


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Vendredi 6 février 2009 à 17:16

Je m'arrache précipitamment, 50 mètres plus loin Sw' et Choup's me rattrapent, me disant "Mais bordel qu'est-ce que tu fous, ça n'en vaux pas la peine, ne fous pas tout en l'air pour si peu, putain" et je les regarde en rigolant, tends une clope à Choup's avec du mascara jusque sous les yeux, et je dis "Mais putain, c'est que vous vous foutez dans la merde pour moi !" et j'ai envie de me cacher dans le bitume.
Je m'acharne sur mon portable et je bouscule les gens, je m'acharne vraiment, je voudrais qu'ils ne me regardent pas, et la colère se pointe comme une solution qui n'est en fait qu'une esquive, qu'une lâcheté de plus.

Les oiseaux déguisés

Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau

Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix

Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été

Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier

Louis Aragon

Mardi 3 février 2009 à 21:41

J'ai violemment les glandes, l'angoisse m'a rattrapée au détour de quelques lignes, au détour du regard d'L', aussi, de ses yeux traqués et tristes, appuyée à la porte du train, blanche et reniflante, sa silhouette si fragile et ses cheveux d'ange. J'aurais voulu lui enlever tous ses malheurs, mais moi-même je commence à être au bout du rouleau, et j'ai à nouveau le vertige au bord des quais, au bord des choix. Je me rattraperai vendredi, si le temps me le permet.
Bien sûr je me lève le matin dans la maison noire et silencieuse, bien sûr je fais comme tout le monde, je m'encastre avec les autres corps, je m'étouffe et m'asphixie dans cette promiscuité, mais quelque chose s'est encore rompu. Cela devait être encore trop fragile à l'intérieur, trop tendu, trop cassant. Encore une fois le découragement gagne, l'à-quoi-bon, et encore les mauvais choix, les voix sur mon répondeur que je feins d'ignorer, toutes ces fois où je regarde mon  portable vibrer, sans me résoudre à décrocher, ni à rejeter à l'appel.
Ces esquives plus ou moins gracieuses, ces rires plus ou moins faux, mais cette fatigue réelle que je traîne depuis des mois, ça finit par user, mais s'il le faut j'irais au bout de moi-même et plus loin encore, je finirais bien par péter définitivement un câble et par avoir le droit à une camisole chimique remboursée. Et tout ça au nom de rien, car je ne me revendique de nulle part, je n'ai pas d'idéaux à défendre, ni même autre chose à offrir.

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