Lundi 21 septembre 2009 à 22:39

Me laisse pas, Marie
Dans ce triste bistrot
Au cœur de la tempête
J’ai trop mal à la tête

Me laisse pas, Marie
Entouré de cadavres
Enterré d'horizons
Qui ressemblent à des murs, elle est où l'aventure ?

Et puis dis pas qu'c'est fini, Marie
Qu’on a plus rien à se dire
Qu'y a plus rien à écrire
Qu’y a plus rien à chanter
Plus rien à découvrir

Que t'as perdu l'envie
Et qu't'as envie d't'enfuir
Qu’t'as perdu ton sourire, que t'as plus qu'des soupirs
Ca s'perd pas un sourire

Ca s'oublie seulement
Avec le temps

T'es trop jolie, Marie
Bien plus jolie que Paris, Marie
Bien plus belle que la nuit
Plus jolie qu'Arletty
Plus jolie qu'les enfants du paradis

Et puis t'es si bonne, Marie
Avec tes seins qui pointent
Comme les cathédrales, on dirait Notre-Dame
On dirait les pyramides

Mais j'suis pas pharaon tu sais
Moi j'fais que des chansons pas gaies
Et tu le dis si bien
Que c'est pas un métier
De chanter l'horizon
Et puis qu’il faut une maison, mais y’a pas besoin de maison

Quand on n'a l'horizon
Quand on n'a l'horizon

Si tu veux, Marie
J’me trouverai un boulot
J'serai banquier s'il le faut
Et j'te gagnerai du fric

Et on ira en Amérique
Dans la cale d’un bateau
Clandestins, réfugiés
Aller jusqu'à Broadway

Parce que t'aimes bien danser
Parce que j'aime bien chanter
Parce que j'aime regarder
Ta jupe qui fait tourner
Mon monde entier
Dans les rues aux lumières
Sûr qu'on pourra se refaire
Sûr qu'on pourra se refaire

Réveilles-toi Marie
Le bistrot va fermer
Pis c'est nous les maudits
Pis c'est nous les pourris
Pis c'est nous les paumés

Réveilles-toi Marie
Dis pourquoi tu dis rien
Dis pourquoi tu sens rien
Toi tu restes de marbre

Pis dis pas qu'c'est fini, Marie
Pis dis pas qu'j'suis fini, Marie
Que j'suis là comme un con à parler aux statues
Auxquelles j'ai jamais cru

Allez, salut Marie
Y’a mon cœur qui frémit
Y’a Broadway qui nous sourit

Allez, salue Marie
Y'a Broadway qui nous sourit
Dans mon coeur y'a l’envie
Y'a Broadway à Paris
Y'a Broadway à Paris
Y'a Broadway à Paris
Y'a Broadway à Paris



On fumait une cigarette dehors, tard, je lui racontais ma vie d'avant, je lui parlais doucement. Il savait déjà que Marie était mon vrai prénom, et il m'a prise par la main, il m'a emmenée dans la petite chambre verte et a mis cette chanson dans mes oreilles, et ne m'a pas lâché la main.
Il est déjà loin.

Mercredi 16 septembre 2009 à 10:06

Chloé est sortie de moi comme on vomit., ou plutôt comme quand écoeurés par trop d'alcool, on se force à vomir. Thomas n'est que son amant logique, il ne pouvait être autrement.
Un garçon qui me prend la main parce que j'ai peur.
Un shooting photo dans le sous-sol d'un studio, et vendredi, un défilé.
Peut-être qu'enfin je devrais m'aimer un peu.
Ca ira mieux. Puisque ça ne pouvait pas être pire.

Mardi 15 septembre 2009 à 16:27

Plusieurs fois elle avait voulu s'éloigner, s'enfuir, partant s'enterrer pour un mois à la campagne avec un inconnu, quelqu'un qui pourrait la sortir de tout ça, sans prévenir personne. Persuadé qu'elle reviendrait, il lui avait seulement souhaité de bonnes vacances. Mais les jours passaient, Chloé demeurait silencieuse, et même si Thomas savait que son corps lui était infidèle, il commençait à douter de son cœur. Il se rappelait alors à son bon souvenir en quelques phrases lapidaires, ambigües. Dans le lit de Thomas, vide chaque nuit, personne ne la remplaçait. Et Chloé revenait à chaque fois, elle n'arrivait pas à se concevoir loin de lui, mais ne l'avouait pas. Thomas l'accueillait en lui faisant la bise, lui offrait une cigarette, lui préparait à manger. Puis il l'attirait peu à peu vers lui, lui souriait, lui intimait de se taire. Il la couchait dans son lit, la prenait dans ses bras et ne la lâchait plus, blottissant sa tête au creux de son cou tandis qu'elle lui griffait le dos, haletante, gémissante.
Sur cette photo gisant sur le sol, une photo d'un de ces soirs où Chloé était réapparue, elle est encore allongée nue, sur le ventre, les bras sous l'oreiller, mais elle a la tête tournée vers lui. Elle regarde dans le vide, légèrement à la droite de Thomas, et ses yeux brillent de larmes. Thomas ne lui avait pas demandé pourquoi, en réalité, il n'avait juste pas osé.
Ce soir, il s'interrogeait à propos de ce qui était arrivé à sa Chloé pendant son absence, pour qu'elle revienne et refuse de l'embrasser, pour qu'elle le repousse parfois brusquement, des lueurs de guerre dans le regard, et qu'elle lui rit au nez.
Bien sûr, cela n'a pas duré. Mais Thomas a remarqué la mélancolie qu'elle promène en elle, à l'abri de son sourire, et même sa tendresse s'est teintée de tristesse. Il aurait voulu pouvoir arriver et l'enlacer, l'embrasser, la protéger de ses bras, mais il ne s'y autorisait pas, car il y avait tant de choses qu'il ne réussirait jamais à lui donner, tant de choses qui lui feraient tant de mal, que pour protéger Chloé il se devait de la rejeter.
Seules les photos témoignaient de l'amour de Thomas, et il ne les montrait pas, tant il voulait garder Chloé, sa si belle Chloé dont la personnalité éclatait sur chaque cliché, fragile, forte, orgueilleuse, arrogante et tendre, sa Chloé si courageuse de rester là sans jamais protester pour tout le mal qu'il faisait.
Il y avait des photos où elle pleurait, car assise seule à une terrasse elle venait de lire un message de Thomas, dur ou faussement tendre, et il voyait bien qu'elle désirait tout effacer, tout déchirer pour enfin prendre ses jambes à son cou, qu'elle aurait voulu hurler. Mais elle se contentait de passer une main dans ses cheveux et de lever la tête vers le ciel en s'effondrant contre le dossier, tirant plus que jamais sur sa cigarette, comme si elle avait souhaité aspirer la mort.



CHLOE


Depuis longtemps elle savait qu'il ne l'aimait pas, qu'il ne reviendrait pas. Elle continuait à le voir pour qu'il la dégoûte, puisqu'au quotidien ils se conduisait comme le pire des salauds, lui crachant dessus à chaque occasion. Elle ne parvenait seulement pas à l'oublier, elle l'aimait farouchement, atrocement, beaucoup trop pour ses épaules. Elle était assise en tailleur sur un canapé lit, dans une chambre anonyme, et elle avait trop bu. Des cadavres de bouteille jonchaient le sol, elle tirait sur un joint, personne ne parlait plus, regardant la télé, tandis qu'elle pensait à lui. Elle se disait qu'elle n'était peut-être pas assez jolie par rapport à ses autres copines, qu'elle pouvait sembler trop étrange avec ses tatouages, et avec ses bleus et ses griffures sur son corps, elle se disait que peut-être il préférait le corps ou l'odeur ou l'ardeur d'une autre, et ça lui faisait un mal de chien, ses mains se mettaient à trembler.
Elle avait souhaité s'enfuir de nombreuses fois, et toujours il l'avait rattrapée, en quelques phrases, et toujours elle était revenue. Quand par dépit elle s'était jetée dans les bras du premier venu, et le lui avait annoncé avec nonchalance, il n'avait pas protesté. Quand il la vit revenir blessée, brisée, il lui lâcha seulement qu'elle n'avait pas l'air d'aller fort. En réalité, ce premier venu s'était avéré être une ordure, qui l'insultait au lit et ne lui demandait jamais son avis sur ce qu'elle voulait, ou non. La moindre protestation causait immanquablement des sanctions, et Chloé avait vu son amant lever la main sur elle. Elle était retournée chez Thomas la tête basse, humiliée, et n'y avait trouvé aucun réconfort. Bien sûr, elle aurait pu parler, mais à quoi bon ? Chloé ne demandait pas d'aide, elle ne voulait pas qu'on s'apitoie sur elle. Ce soir-là elle repoussait Thomas, lui riait au nez et ne l'embrassait pas, ivre de cruauté et de souffrance, faisant l'amour avec lui presque avec haine.
Pourtant, elle l'avait regardé dormir, ses longs cils noirs soulignant ses paupières closes, tourné vers elle, sa peau mate tranchant sur la blancheur des draps, dans la nuit jamais noire de la banlieue, la bouche légèrement entrouverte, l'air d'un enfant, avec ses cheveux si courts et drus. L'air fragile, en réalité, et Chloé s'était sentie responsable de Thomas, tant pis si elle protégeait celui qui ne protégeait pas, tant pis si l'aimer revenait à s'abîmer.
Elle allait toujours chez lui et lui ne venait jamais chez elle. Il n'avait jamais vu sa chambre, n'avait jamais dormi dans son lit, n'avait jamais aperçu le fouillis de feuilles volantes au pied de son lit. Si il les avait lus, il aurait su qu'ils parlaient tous de lui, mais Thomas ne savait même pas qu'elle noircissait des pages et des pages à la nuit tombée, quand exténuée et souvent passablement défoncée, elle prenait son stylo pour cracher sa bile et son malheur, et surtout pour dire son envie que Thomas l'abandonne, la laisse en paix, puisqu'ils ne pourraient jamais être ensemble. Mais elle comprenait aussi bien qu'elle ne pouvait pas être sans lui, et elle attendait, dans une impatience sans bornes, qu'il l'achève, qu'il la mette à terre, pour pouvoir se relever et être à nouveau fière.

Chloé avait de nombreux amants, qui possédaient son corps mais ne touchaient pas son cœur, elle ne mettait pas son âme à nu. Elle considérait Thomas et elle comme des amants terribles, n'ayant peut-être pas encore assez donné et reçu de souffrance, ne sachant pas s'aimer, ou s'aimant sans réel amour, ou au-delà de l'amour. Chloé n'en savait en fait rien, elle se laissait porter, ne pouvant se résoudre à abandonner Thomas, dont elle voyait les fêlures malgré sa carapace d'indifférence. Chloé et sa violence, et son mépris, toujours dirigé contre elle, elle se détestait de ne pas savoir se faire aimer de Thomas, qui la perdait entre ses mots tendres et ses insultes, entre ses brusques apparitions et ses absences.
Elle se souvenait de l'avoir attendu, sous un parapluie, Place St Michel. Il n'était pas arrivé du côté auquel elle s'attendait, et l'avait enlacée par surprise. Elle s'était retournée en riant, et l'avait vu baisser les yeux vers elle, un regard alors si doux, si tendre, malicieux. Son cœur battait, cognait contre ses côtes, et elle se sentait incroyablement vivante, elle le voyait rire, et une seconde plus tard il la serrait contre lui, enfouissant son visage dans ses cheveux, posant quelques baisers dans son cou.
Où étaient passés tous ces moments ? Avaient-ils été si peu pour que Thomas les renie, et crache dessus ? Chloé ne pouvait y croire, ne voulait pas y croire. Elle s'accrochait désespérément à chaque morceau de lui, à chaque miette, elle tentait de reconstituer le puzzle de leur histoire qui n'en finissait pas. Elle écrasa le joint dans le cendrier débordant de mégots et comme la nuit était déjà très avancée, elle se leva, dit au revoir et s'élança dans les rues.
Elle prenait toujours le même itinéraire, passant devant les mêmes maisons, passant surtout devant celle de Léa dont la fenêtre était encore éclairée, mais encore une fois elle ne répondait pas au téléphone. Chloé rit, seule dans la lumière sale des lampadaires, et continua sa route, se raidissant au passage des rares voitures pleines de fêtards salement éméchés qui la sifflaient ou la klaxonnaient.

 

 

THOMAS

 

 

Dans le parc en bas de son HLM, il était posté avec les mêmes personnes, encore une fois, dans l'attente d'un événement qui romprait le quotidien. Rien ne se passait pourtant, et ils éclusaient quelques bières en fumant quelques joints. Il faisait nuit et l'on entendait vaguement des types s'amuser avec des scooters, accélérant et klaxonnant, hurlant.
Il leva la tête et contempla les quelques étoiles visibles, troublées par la couche de pollution, les étoiles que Chloé aimait tellement, car elle disait:
« Quand je les vois, je me sens minuscule, j'ai l'impression que ma vie n'est rien, que mes soucis ne sont pas si importants. Et j'ai en même temps l'impression que je peux prendre mon sac, mes papiers, un peu d'argent, et partir loin, disparaître, aller respirer autre chose, ailleurs, quelque part où personne ne me connaîtrait et où je ne connaîtrais personne, où je respirerais plus facilement. »
Il entendait sa voix susurrer à son oreille, sentait comme sa présence. Il s'ébroua et rit à une des blagues salaces lancée par l'un ou l'autre, se plongeant dans le quotidien pour ne pas penser à elle, pour oublier qu'elle était sûrement en train d'arpenter sa banlieue, seule, son sac en bandoulière tapant contre sa cuisse, le nez en l'air. Il pensait à ses mains qui tremblaient alors qu'elle lui souriait qu'elle allait bien, il pensait à ses mensonges et à son orgueil, et il eut soudain envie de la briser, pour qu'elle s'avoue vaincue, pour qu'elle crache ces trois mots qu'elle n'avait jamais prononcé, pour qu'elle rompe cette spirale de non-dits qui les emmenaient toujours plus loin.
Thomas s'était assombri, et ses amis s'en aperçurent.
« Et alors, Tom, c'est bon, tire pas la gueule. On plaisante... Tu vas pas nous dire que toi t'as jamais manqué de respect aux nanas, quand même. D'ailleurs elle est devenue quoi, la grande brune que tu ramenais parfois ?
- Je ne sais pas ce qu'elle devient, mais elle vient ce soir. De toute façon, qu'elle vienne ou pas, ça m'est égal. Le monde est plein de nénettes.
- T'as bien raison. De toute façon, le cul, ce n'est que du cul. Elle s'appelle comment ?
- Elle s'appelle pas. »
Ses amis rirent grassement, mais Julien le regardait en souriant seulement, l'air de comprendre que quelque chose ne tournait pas rond, mais il ne dit rien et détourna la tête. Thomas avait eu peur de livrer le prénom de Chloé, ils l'avaient tous déjà aperçue de loin, élégante, fière, passant au milieu des groupes de mecs sans baisser la tête, et il ne voulait pas qu'ils puissent mettre un prénom sur sa silhouette. Il la voulait anonyme, il la voulait à lui.
Il sentit son téléphone vibrer, un message de Chloé, annonçant simplement qu'elle partait de chez elle, qu'elle aurait peut-être du retard, lui demandant de venir la chercher au métro. Il lui envoya un message : « Dépêche-toi ! », mais ne reçut aucune réponse. Elle serait là dans deux heures, calme, joyeusement indifférente, belle. Elle ne lui prendrait pas le bras, il n'y aurait pas de débordements, tout serait passablement sous contrôle, ils joueraient à ne pas être eux-mêmes, sans être trop dupes de leurs apparences. Il n'y avait plus qu'à attendre et à maîtriser ses émotions.

 

 

CHLOE & THOMAS

 

 

Chloé grimpait les marches du métro deux à deux, allumant sa cigarette, le cœur battant, un tendre sourire aux lèvres. Thomas l'attendait en haut, Thomas, Thomas, Thomas.
Il portait un jean bleu clair, un t-shirt noir avec un col en V, ses Ray-Ban cachaient ses yeux. Les mains dans les poches, adossé au mur, regardant ailleurs, pas rasé. Elle s'approcha et lui tapa sur le bras :
« Alors comme ça, on ne voit plus les jolies jeunes filles arriver ? »
Thomas, perdu dans ses pensées, sursauta, et la regarda. Ses cheveux longs étaient tirés en une longue queue de cheval haute, ses épaules dégagées par le bustier gris qu'elle portait sur un jean soulignait la finesse de son cou. Elle avait habillé ses pieds de chaussures avec de petits talons, et portait sa veste en cuir sur le bras. Ses yeux étaient soulignés de crayon noir et d'eye-liner, elle avait décliné ses paupières du blanc vers le noir, son regard agrandi par ses très longs cils, et elle levait les yeux vers lui presque timidement. Il posa la main sur sa taille et lui fit la bise, lentement, et elle remarqua les bracelets en tissu à son poignet, se demandant d'où et de qui ils venaient.
Mais elle n'avait aucun droit sur sa vie, sur ses fréquentations. Ils ne s'étaient pas vus depuis plus d'un mois, et elle ne voulait pas que sa visite se teinte d'amertume. Ils commencèrent à remonter la rue du même pas, échangeant des banalités, l'air d'être de bons amis. Des regards jaloux les suivaient, car Thomas et Chloé étaient beaux, encore plus beaux de ne pas se tenir par la main, magnifiés par tout ce qui était tu, par tous les gestes qu'ils ne faisaient pas, par cette tension qui naissait de leur absence de regards. Chloé fixait le sien droit devant elle, Thomas regardait le sol. Elle marchait comme si elle était seule, et bizarrement il se sentit tout petit à côté d'elle, à côté de ses airs de liberté. Elle allait partout comme si elle était chez elle, tandis que Thomas jouait à chaque fois à l'invité, certes de marque, mais à l'invité tout de même.
Ils longèrent quelques immeubles, arrivèrent devant son hall où quelques types traînaient. Chloé, nullement impressionnée, passa devant, entendant ensuite Thomas les saluer et leur serrer la main. Elle ne l'attendit pas et commença à grimper les escaliers. Il ne se pressait pas pour la rattraper, elle l'attendait adossée à sa porte d'entrée et le fixait sans dire un mot. Il avança lentement tout près d'elle, et lui chuchota violemment à l'oreille :
« Qu'est-ce que tu veux, à me regarder comme ça ?- Je ne sais pas. »
Elle leva ses yeux inquiets vers ceux de Thomas, torturés de désir, qui la saisit brutalement par les épaules et la jeta sur le côté, contre le mur, puis entra. Chloé le suivit, elle regardait Thomas, on aurait cru un fauve en cage, elle ne comprenait pas sa soudaine violence, elle sentait une colère incontrôlable monter en elle, et elle serrait ses poings à se planter les ongles dans les paumes, elle avait envie de lui cracher :
« Et toi, Thomas, qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu as, à te foutre de moi comme ça ? Pour qui tu te prends ? Dis-moi, putain, dis-moi, tu veux quoi de moi ? »Mais Chloé se taisait, Chloé se taisait toujours. Elle alla dans la chambre de Thomas, se roula nerveusement un joint et l'alluma. Elle entendait l'eau couler dans la salle de bain, la porte était entrouverte, et en se penchant, elle pouvait deviner le corps de Thomas. Elle vit une enveloppe sur le bureau, mais ne regarda pas à l'intérieur. Non par manque de curiosité, non par ce qu'elle avait confiance en lui, puisqu'elle se demandait si son cœur était fidèle, mais par peur de découvrir l'écriture d'une autre fille, les petits noms dont elle l'affublerait, ces petits mots gentils et niais par lesquels elle n'avait jamais su l'appeler. Elle ressentait une noire exaltation l'envahir, après tout ces petites connes pouvaient bien l'appeler comme elles le désiraient, elles pouvaient bien lui mettre leurs gros seins sous le nez en minaudant, vulgaires petites amatrices, elle savait qu'elles ne sauraient jamais lui donner ce qu'elle lui donnait, puisque Thomas la menait encore jusque dans son lit, puisque Thomas s'essoufflerait encore sur elle ce soir, tandis qu'elle lui grifferait le dos, mêlants leurs sueurs, leurs respirations, leurs regards, leurs déchirures. Il ressortit de la salle de bain, calme, comme si rien ne s'était passé, et elle rit de le voir ainsi décoiffé, des gouttes d'eau comme des perles ponctuant son torse, vêtu seulement de son jean. Elle l'aimait d'autant plus qu'il n'était pas à elle.

Jeudi 10 septembre 2009 à 12:36

Il était assis dans la pénombre de sa chambre, seulement éclairé par la lueur de l'écran de son ordinateur. Renversé en arrière, la nuque calée sur le haut du dossier de son fauteuil, les pieds sur le bureau, il tirait lentement sur une cigarette, gardant longtemps la fumée dans ses poumons, et tripotait machinalement la clé USB qui traînait sur son bureau. Sa cigarette écrasée, il attrapa l'enveloppe posée sur le canapé et l'ouvrit, en sortant plusieurs clichés, sur lesquelles figurait toujours la même jeune femme : une grande brune, mince, la peau mate, les yeux bridés.
Cependant, bien que ce soit toujours la même, ses attitudes changeaient d'une prise à l'autre. Sur celle qu'il tenait à présent, on la voyait à la sortie du métro Place St Michel, s'abritant sous un parapluie, les cheveux relevés maintenus par une pince, vêtue d'un imperméable noir entrouvert sous lequel on apercevait son tailleur. Ses jambes nues paraissaient légèrement bronzées même dans la lumière grise, et elle avait glissé ses pieds dans de hautes chaussures à talons aiguilles. Elle fumait une cigarette en attendant quelqu'un, et bien qu'on ne pouvait le deviner sur la photo, il savait qu'elle fumait des Lucky Strike, comme lui, et que c'était lui qu'elle attendait, guettant chaque grand brun qui grimpait les escaliers.
Sur la suivante, on la voyait assise par terre sur les quais de Seine, à côté de Notre-Dame, avec ses amies. Ce jour-là elle ne l'attendait pas, elle ne l'attendrait plus jamais. C'est pour ça qu'elle ne l'avait pas vu, et qu'il avait pu la photographier tranquillement. Elle avait une bouteille de vodka dans une main, un gobelet dans l'autre, se servant un verre, sa cigarette à la bouche, fumant sans les mains, masculine. Elle portait un jean noir déchiré, de vieilles baskets, un débardeur noir décolleté et serré qui soulignait sa poitrine, petite mais ronde, mais fière, et un sweat à capuche ouvert par-dessus. Sa bouche peinte en rouge et ses yeux marrons barbouillés de noir véhiculaient quelque chose d'indécent et de violent, avec ses cheveux fous lui volant dans le visage à la moindre bourrasque.
Les photos n'étaient pas triées et les périodes se mélangeaient. Beaucoup étaient des clichés d'elle avec ses amis, à la sortie des cours, buvant un café ou une bière au café d'en face, ou des photos d'elle en train d'attendre. Il savait où la trouver, ils se parlaient toujours, se voyaient parfois. Une série glissa de l'enveloppe sur le sol, et en les regardant il sourit. Bien qu'ils n'étaient plus ensemble, bien qu'il lui avait fait du mal, elle était tout de même revenue chez lui, plusieurs nuits. Ces photos-là étaient celles de la première nuit de son retour, où il s'était déguisé sous des airs méprisants et je m'en foutiste, et où elle avait posé sur lui de longs regards interrogateurs, fragiles, l'âme à nue. On la voyait, vêtue seulement d'un long t-shirt qui s'arrêtait en haut de ses cuisses, dont le profond décolleté était souligné par un gros noeud à rayures, appuyée à l'encadrement de la porte, lui souriant à moitié, le regard demandant si elle devait rire ou pleurer, désemparée, fragile et attirante. La photo suivante avait été prise quelques secondes plus tard, et Chloé avait déjà repris le dessus, se cambrant, aguicheuse et faussement innocente, les yeux brillants d'un éclat coquin et le sourire aux lèvres.
Il passa ensuite rapidement sur celles où on la voyait nue, étendue sur le ventre, assoupie, un tatouage ornant tout le côté gauche de son dos, de l'épaule jusqu'en haut de ses jolies fesses, tenant sa main dans son sommeil, l'air trop calme, trop confiante, ça lui poignardait le coeur de la voir ainsi, de voir ce qu'il avait fait, le mépris avec lequel il l'avait traitée, pour la garder toujours près de lui, pour qu'elle cesse de l'espérer, puisqu'il avait une trouille incroyable d'être avec quelqu'un, de se réveiller chaque matin avec quelqu'un, d'être responsable de quelqu'un, quand bien même ce quelqu'un aurait des jambes interminables, le sourire d'un ange, la gaieté d'une enfant, et s'appellerait Chloé.
D'ailleurs, toute la cruauté de cette histoire était qu'il n'existait qu'une seule photo d'eux deux, prise ce même soir, alors qu'elle dormait, la tête calée contre son cou, l'air paisible, souriant tendrement. Lui la regardait de ses grands yeux noirs, et sa peau encore plus mate que la sienne faisait paraître celle de Chloé presque blanche. Sa barbe de trois jours lui mangeait le visage, il était plus jeune qu'elle mais on aurait cru que c'était l'inverse, et il était bien plus grand qu'elle puisque même perchée sur ses improbables talons elle restait plus petite ; elle avait l'air minuscule blottie contre lui. Chloé était serrée tout contre sa peau, et Thomas la gardait blottie contre lui de son bras libre, son piercing au nez brillant dans la pénombre, les draps blancs en désordre soulignant leurs corps enlacés, et l'abandon de Chloé. Chloé, la seule qui comptait pour Thomas, qui voyait les cicatrices sur ses mains, les bleus sur ses jambes, et les croûtes là où elle s'était encore arrachée la peau, Chloé qui s'abîmait doucement, sans un mot, Chloé aux mains qui tremblaient, mais qui faisait toujours le clown pour faire rire Thomas, pour qu'il sorte de son mépris et de son indifférence, pour qu'il l'aime.

Mercredi 9 septembre 2009 à 18:58

C'est fini pour toute la vie, toi et moi.
Les mains qui n'arrêtent pas de trembler.
Lâche-moi, laisse-moi me barrer, putain, laisse-moi, laisse-moi, laisse-moi. Pourquoi tu reviens toujours ? Pourquoi t'es toujours là ? Fous-le camp, arrache-toi, ne m'adresse plus la parole. J'aurais jamais la force. Jamais jamais jamais.
Je suis trop faible, t'es trop fort, toi et moi, c'est rien, c'est jamais.
Tu comprends ça, putain ? TOI ET MOI C'EST RIEN.
Il n'y a jamais rien de clair ni de définitif, et je t'emmerde, Manu, je t'emmerde, va putainement te faire foutre. Je t'aime atrocement, alors casses-toi, y'aura pas de lendemains qui chantent, y'aura pas de baisers tendres, y'aura que du cul, car tu veux que ça, du cul. T'es qu'un chien.
J'ai envie de te péter les côtes et les dents et de te shooter une bonne fois pour toutes dans les couilles pour tout le mal que tu fais.

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