Et puis le silence au bout de mes doigts.
J'ai recommencé à écrire des lettres avortées. J'ai recommencé, je le dis, comme ça, tant pis.
Un appartement dans une rue d'école, du lambris au plafond qu'il trouve moche et dont je me fous. Ma signature en bas d'un bail, et ce petit proverbe populaire qui revient trotter : "T'as signé, c'est pour en chier."
J'essaye de lui expliquer que je ne peux plus être insouciante. Je repense à mes errances, elles me manquent quand le photographe m'envoie un message où il m'assassine en m'appelant ragazza, on ne m'avait jamais aimée en italien. Je repense à ce que j'ai laissé, à la cacophonie de Paris, aux derniers trains dans lesquels je flippais parfois, les pupilles dilatées sur la nuit jamais noire, bercée par le crissement des rails, l'écho de la musique des autres, les cris des racailles, et dehors par intermittence les tags sur les murs, TIIGE, je cherche parfois cette inscription des yeux sur les murs des villes que je traverse.
La poésie de ma banlieue me manque, la poésie et la violence aussi.
Tout est allé trop vite et déjà ma vie n'appartient pas qu'à moi.
Des fringues de bébé qui s'entassent comme des fringues de poupée, et ma si grande lâcheté.
C'en est fini de mes fuites, fini de mes courses-poursuites, fini de gueuler dans les rues à perdre haleine, fini de jouir de la nuit, de l'aube, et puis pas d'avenir, l'avenir on s'en fout c'est pour les caves, moi j'suis pas une cave, j'me laisserai pas piéger, j'vous le dis, c'est pour les connards la maison le renault espace le chien qui joue avec le môme.
J'ai l'air un peu con, du coup, comme ça, avec mon gros bidon. Un peu beaucoup très con.
C'est pas pour dire, mais j'en chialerai presque.

Et puis parfois je me dis que c'est chouette. Que je vais aller bien, qu'on va aller bien. Que c'est pas si mal, d'être dans le droit chemin, au lieu de suivre les ruelles obscures qui longent les voies ferrées. Qu'entendre "je t'aime", c'est mieux que de ne jamais l'entendre, que de toujours courir après un rêve qui s'enfuit un jour, comme ça, tu te lèves, tu poses un baiser, tu t'en vas, et puis plus rien. Tu sais que plus rien. C'est fini comme ça, sans cris, sans drame, ça fait mal quand même, tout au fond. Mais bon. C'est la vie. Tu mets ta musique et puis tu t'éloignes. Chaque pas te donne envie de faire demi-tour mais tu ne le fais pas. Tu respectes ta promesse : "Pas de lettres, pas de larmes, pas de serments, pas d'amour." Alors pas à pas tu fais ta fière, ta belle. La gueule haute et puis les larmes en travers.
Par moments je me dis que ça ça pouvait pas faire une vie. Mais je ne le saurai jamais puisque je n'ai pris l'avion ni pour New York ni pour Montréal. Un peu de rancune, ça me plombait trop pour décoller.
C'était pas viable.
Moi je m'en fous qu'on me dise qu'on m'aime, je veux juste qu'on ne me mente pas. Si l'on veut plus de moi on me jette, et puis je me relève, ça me tue pas. Mais je ne veux pas perdre ma vie à être trahie, je ne veux pas perdre mon temps. Et c'est de ça dont j'ai peur. C'est de donner toute ma vie pour quelqu'un qui trahit, je pourrai pas supporter.
Ouvrir les yeux un matin, et se dire : "Et voilà. Rien. Les dernières années de ma vie n'ont été qu'un mensonge et les souvenirs dont je croyais être sûre de la couleur sont faussés, voilà, je n'ai même pas ça, même pas mes souvenirs puisque déjà le mensonge était là."

Parfois je me dis, j'aurais du prendre l'avion, mais pas pour New York ni Montréal, pour une autre destination, peinarde.

Courageuse, la nana.

Il reste si peu de jours.