Jeudi 30 octobre 2008 à 12:08

"  Selma attendit longtemps avant de dire quelque chose. Je pouvais entendre sa respiration. Je pouvais voir ses paupières battre dans le noir. Je pouvais voir la cime des arbres valser sous les bourrasques. Je pouvais sentir l'odeur du feu et celle de nos corps. Je pouvais fermer les yeux et essayer de donner un sens à tout cela. Je pouvais parler, mais c'est Selma qui le fit. Elle passa doucement la main sur mon visage comme une aveugle qui essaierait de décrypter mes traits du bout des doigts, puis murmura :
   - Un jour je t'aimerai."

"  De plus en plus souvent je m'éveillais au milieu de la nuit en éprouvant une angoisse, un sentiment d'errance, d'inappartenance. Je ne possédais plus aucun lien, aucun repère. Je n'espérais personne et nul ne m'attendait. Mon esprit était vide. Il ne contenait rien sinon deux phrases énigmatiques de l'explorateur Ernest Shackleton : "En souvenirs nous étions riches. Nous avions percé l'apparence des choses." Pourquoi les nuits me ramenaient-elles vers ces mots ? Où les avais-je lus ? Je pouvais rester ainsi de longues minutes, cloîtré dans ces limbes, à mi-chemin de l'éveil, avant de redevenir ce que je croyais être, l'amant trop âgé d'une femme dont je ne savais plus qui elle était vraiment. Elle prenait de la poudre, avalait des pilules, pissait la porte ouverte, détestait les taxis et me promettait, un jour, des choses impensables. Et pourquoi ce jour adviendrait-il ? A l'autre bout du monde, une femme prenait de mes nouvelles. Elle demandait des choses simples et ne promettait rien. Sans doute avait-elle trop donné. Et ce père priapique, cette marâtre appliquée, ce film, ce métier de faiseur. La Prius. Betsy. Edward. Nolte. Montana le "sauteur" et Gump le trotteur. Oui, la nuit, il m'arrivait de buter sur l'apparence des choses, de ne pas en comprendre le sens, d'être incapable de les ordonner."

"  Cette contemplation béate me rendit soudain Selma détestable. Elle incarnait toute la pensée désaxée de ce pays, cette espèce de religiosité spongieuse, de verroterie spirituelle, de macédoine sociale - avec des pauvres pour ramasser les merdes des chiens, des vieux pour garer des voitures, Edwards pour livrer des pizzas, un remède de cheval pour calmer Efrain, et des champignons pour guérir les angoisses vertébrales, C4-C5 incluses. Ce pays était une secte, avec ses rites économiques et ses gourous fanatiques. Une colère informe m'envahissait. Je n'étais plus qu'une vague enveloppe acrimonieuse. Je m'approchais de Selma. Accoudée au comptoir elle veillait toujours son rescapé. Je n'avais aucune raison de faire cela, aucune envie non plus. Je me collais contre ses fesses, soulevait sa jupe et l'enfilait debout. Je ne voyais pas son visage. Je distinguais seulement sa main droite, posée sur le bocal, semblant le protéger pour qu'il ne lui arrive rien."

"  Stern père adoptait des chiens, Stern fils élevait des champignons. Le premier baisait la compagne de son frère, le second, le double de sa femme. Pour le reste, c'était Moclamine versus kétamine et Tylenol contre ecsta, Quaaludes et Kombucha."

"  - Fais-moi plaisir : ne me parle plus de scénario ni de cette putain de grève. Si j'ai pris ce boulot à la manque, c'est uniquement pour rester plus longtemps, ici, près de toi.
   Je faillis ajouter : "Parce que tu es le sosie de ma femme, Anna Roca del Rey, parce que tu parles comme elle et que bientôt tu penseras comme elle, parce que tu me rends une part de ma vie, un morceau de ma jeunesse, parce que je me demande ce qu'il adviendra de moi lorsque je rentrerai, parce que je sais que tôt ou tard tu reprendras un taxi pour les collines, parce que je me sens perdu, moi qui n'aime ni la kétamine ni la Moclamine."
   - Uniquement pour rester près de toi."

"  - Tu repars pour longtemps ?
   C'était Jules. Le chef de famille irréprochable. Le mari modèle. Le garçon prévenant. Le conseiller en énergie. L'économiseur de ressources. L'ami de la planète. A force de sérieux, mon fils était enfin devenu le père qu'il aurait tant aimé avoir.
   - Un mois, un mois et demi peut-être, le temps de terminer ce que je suis en train de faire.
   - Tu travailles sur quoi ?
   Que répondre à un fils pudique et scientifique, marié de surcroît à une sobre agronome ? Que j'écrivais une misérable histoire de vachers torturés par le désir, et qu'en outre, à mes moments perdus, je suçais des champignons goitreux et baisais une fille défoncée qui avait l'âge de sa soeur tout en étant le sosie de sa mère ?"

"  - Si tu hoches la tête en souriant ainsi, ça veut dire que tu l'as baisée. J'en suis certaine. C'est normal, remarque, c'est ta femme. Je te demandais juste ça comme ça, pour parler. Tu peux baiser qui tu veux. C'est la vie. On est tous là pour ça. Tu as déjà baisé à New York ?
   Tout était en place. Le décor. Les lumières du couchant. Une ruelle un peu glauque. La réplique qui l'était tout autant. Et le visage de Selma qui soudain s'écartait de celui d'Anna pour se fondre derrière les traits de Martha. Mais qu'est-ce que tout cela pouvait bien changer ? Après tout, "on était tous là pour ça". Alors pourquoi rejeter une telle offre ? Et à New York, de surcroît ?"

 

Les accomodements raisonnables,
Jean-Paul Dubois

Mercredi 22 octobre 2008 à 21:18

Elle n'était pas là pour se vendre, et pourtant sous leurs paupières lourdes ils croyaient avoir vus, à part les indifférents. Suzie n'était pas faite pour déciller les paupières ou élever l'âme, non. Elle se heurtait à ses murs et n'en disait mot.
Elle attendait parfois des heures dans un appartement froid. Elle attendait parce qu'il n'y avait rien de mieux à faire. Alors pourquoi pas ? Aucun respect, aucun orgueil, mais elle ne plaçait simplement pas sa fierté au même endroit. Elle avait ses raisons, elle comprenait le sens, l'acceptait sans broncher. Sage.

Mardi 21 octobre 2008 à 20:49

Fiches sur la Thaïlande, sur l'Espagne, stage, uniforme et pieds en sang. Plantée sur un parking à une heure du matin, oui il n'y a qu'à moi que ça arrive. "Dis, Bébé, on joue ensemble ? - T'inquiètes Chat, on va les exploser." Les accommodements raisonnables, Jean-Paul Dubois. Réveillée chaque matin à 6h avec le froid et les Strokes. Il fait nuit lorsque je pars et je fume en écoutant mes chaussures sonner sur le bitume, bam bam bam, chaque pas un peu plus vers le soir.
Et je cours dans les couloirs du métro, les talons claquent fort, j'agresse les pervers, j'ai pas peur moi, j'ai pas peur et Mily gueule "Mais t'es une ouf toi, mais t'es une ouf!", et puis t'as vu il est baisable, oui mais trop jeune, oh t'inquiètes, pour l'usage que j'en ferai je lui laisserai même un petit billet. Hooo les filles vous êtes trop des p*tes. J'ai rien à prouver.

Vendredi 17 octobre 2008 à 8:52

Des réveils frigorifiques ponctués par le grincement des machines. Elle se roule sous la couette, se blottit, serre tous ses membres contre son ventre et ne bouge plus. Le froid pénètre pourtant lentement sous sa peau diaphane, elle en est consciente, se refuse à bouger. Alors une main surgit de Dieu sait où agrippe son poignet et la hisse hors de sa caverne de tissu.

Mercredi 15 octobre 2008 à 20:56

Trop d'heures de sommeil à rattraper. Vivement ce week-end, où je ne posterai pas, parce que le week-end je ne suis plus jamais là.
J'évite de trop repenser à certains moments quand je passe à Miromesnil, tous les matins et tous les soirs, et puis je fonce dans le métro, tête baissée et épaules serrées, je pars à l'assaut de la foule, et parfois je suis obligée de courir sur mes trop hauts talons et avec ma jupe qui remonte pour rentrer chez moi sans trop attendre le prochain train.
Et je mets mes œillères.

<< Page précédente | 1 | 2 | Page suivante >>

Créer un podcast