Mercredi 14 octobre 2009 à 19:39

Je perds patience, parle mal. Mon estomac se tord et je m'allume une cigarette dans le vent trop froid qui transperce mes bas.
Amiens.
Des mots fous qui caracolent dans ma tête et me donnent envie de fuir, envie de dire "Non, c'est bon arrête. Pas la force. Pas la force d'être heureuse, pas la force d'être raisonnable, pas la force de faire confiance." Mais je me tais et je coupe mon portable, m'engouffre dans le métro, tolère à peine la promiscuité avec les autres.
Plus loin, après deux changements, je traverse les zones industrielles, et la tête appuyée contre la vitre le train enjambe la Seine.
De l'autre côté, de là où il est normal de ne pas avoir d'argent pour se payer un billet de train, d'où il est normal de resquiller.
J'ai foutrement envie de taper dans les murs, et je me tais, concentre le reste de mes pauvres forces en une boule d'agressivité, évite de repenser aux insomnies. On se rattrape toujours, on est jamais à l'abri de soi.
Mel' a eu 20 roses rouges pour ses 20 ans. On ne m'offre pas de fleurs. On m'offre des paquets de cigarettes, des bouteilles de vodka, des flasques de rhum, de fausses vérités sur un plateau. Mais pas de fleurs, pas même cueillie sur le trajet, non.
Le marketing me retourne le crâne et j'ai la nausée en repensant aux stats d'hôtellerie, au projet pour lundi prochain ("un jeune couple veut faire une croisière aux Caraïbes en février 2010. Faites-leur une proposition") et je me dis que moi aussi j'aimerais faire partie d'un jeune couple qui aurait envie de partir aux Caraïbes, qui aurait les sous et le temps et l'amour.
Je crèverais pour du rêve.
Je pense à sa voix joyeuse dans le téléphone, je pense à sa voix qui ne saura pas, que je n'aurais pas le courage de fêler, de faire hésiter. C'est aussi ça, la lâcheté.
Je pense aux cadavres qui traînent dans les coins, aux cicatrices sur les jambes, au nom barbare de sa maladie, à l'avenir pas si radieux.
Je souris.

Mercredi 14 octobre 2009 à 19:06

Elle marchait toujours sur le trottoir, elle semblait tellement forte, tellement libre dans cette nuit d'octobre agonisant, la pluie avait commencé à tomber, elle avait levé son visage vers le ciel en fermant les yeux, mais sans cesser de sourire. Thomas l'avait serrée contre lui, l'avait enveloppée dans son blouson. Elle avait passé ses bras autour de sa taille, posée sa tête sur son torse, perchée sur la pointe des pieds, et dans les rues vides il avait entendu sa voix tremblotante chuchoter : « J'aime ton parfum... » Il lui avait tourné le dos, elle avait sauté dessus, et ils étaient repartis ainsi vers le métro. Thomas avait dévalé les marches pour lui faire peur, et Chloé criait. Assis dans le wagon, elle s'était mise à parler brusquement. Cela faisait déjà quelques minutes qu'elle était silencieuse, et Thomas ne savait pas ce qui avait traversé son esprit pour qu'elle soit soudainement si sérieuse.
« Tu vois, les gens, ils aiment tout, ils aiment tellement tout que dans le fond ils n'aiment rien... Tout le monde est ami de tout le monde, c'est ridicule, et dans le fond, c'est horriblement triste parce que c'est horriblement faux. On arrive plus à percer les façades, on arrive plus à deviner les faux sourires, on arrive même plus à se toucher. On devient anonyme. Ça, oui, ça me fait du mal. Imagines le bonheur d'être unique pour quelqu'un qui reconnaîtra ton pas, ta silhouette au milieu de cent autres, ta voix dans le brouhaha... »
Elle avait appuyé sa tête contre la vitre, les mains sagement posées sur les genoux, son regard inquiet l'interrogeait, mais Thomas, même s'il comprenait sa question muette, ne savait pas quoi lui dire pour la rassurer, la réconforter. Ou plus exactement, il avait les mots, mais ils ne parvenaient pas à franchir la barrière de ses lèvres. Il la regardait, il hocha la tête, et Chloé détourna le regard, le posant au-delà de la fenêtre, dans le noir, là où il n'y avait rien à voir, inaccessible. Thomas avait alors pris sa main si fine, et l'avait maladroitement serrée entre les siennes. Il avait deviné un sourire léger, furtif, sur ses lèvres closes, et il aurait voulu lui dire tellement de choses, il lui parlait en lui.
« Tu ne sais pas, Chloé, mais je reconnais ton pas, et ta silhouette, et ta voix, et même ton parfum... Je ne sais jamais où tu es, où tu vas, où tu te perds, je ne sais pas dans quoi tu te débats, mais tu es unique. Tu es trop forte pour te faufiler dans les petites portes des silences, tu me perds, tu me fais du mal quand je t'aperçois avec un autre, mais je ne peux être loin de toi. Je sais, je te fais mal aussi, je ne sais pas pourquoi, je me sens si fragile, si démuni face à toi. Mais quand je vois tes longs cheveux bruns tomber en cascade dans ton dos, ton sourire en coin, l'ironie au fond de tes yeux, les fossettes à tes joues, quand tu m'embrasses ou que tu me repousses, j'ai envie de te dire que je t'aime. Je t'aime tout le temps, malgré ta violence et tes sarcasmes, ou peut-être grâce à eux. »
Mais il sortit simplement son appareil photo, et immortalisa son regard perdu, et sa petite main dans la sienne.

Dimanche 11 octobre 2009 à 21:47

Dis, on est ensemble, hein, on est ensemble ?
Parce que tu vois moi je croyais j'étais foutue.
Une girafe avec du sirop de caramel, s'il vous plaît.
Il fait froid chez toi, j'suis gelée, ça me glace jusqu'au fond du ventre.
Julia, mais c'est qui Julia ?
J'aime les fêtes foraines, hurler la tête à l'envers dans les manèges
J'retourne en cours, j'vais fumer comme un pompier, shit
Putain, tu mens, tu mens et tu sais même pas mentir correctement, merde !
On est jamais vraiment sevré, on devient juste abstinent
Non, j'suis pas en colère, non, c'est pas un mensonge
Ha ha ha moi aussi j'vais me tâter
Tu veux une bouteille de porto ?
Un paquet de News en 30, merci.
Oui oui, ça va.
Vous venez de la banlieue, ça m'étonne pas. 76 € d'amende.
Merde ! J'avais jamais vu quelqu'un d'aussi défoncé
Bouge pas, j'reviens, j'vais me faire vomir
Ils ont fait un reportage sur les fumeurs de crack de Saint-Denis. Ben putain il était temps qu'ils se réveillent.
On arrêtera jamais de fumer
Mais tu crois qu'il y avait quoi à espérer ?
La dernière fois, t'étais habillée comme une pute
J'aime quand t'es pas rasé
Me laisse pas, me laisse pas, me laisse jamais, je t'ai cherchée trop longtemps
J'ai envie de lui cracher à la gueule, mais non
Je t'aime. Ha t'as l'air con !
Il a trop cru que la vie c'était un putain de film de boules
Achtung Baby !

Samedi 10 octobre 2009 à 8:06

La jalousie et l'insomnie sont revenues et mes mains tremblent. Pourtant je savais qu'il fallait savoir éviter de regarder dans les coins, que l'on risquait d'y découvrir des cadavres derrière des voiles de mensonges. Alors je ne dors pas et trop de questions me viennent en tête, je ne sais pas faire confiance. Assez de mon sale crâne, assez de savoir que tout le monde ment et de vouloir voir la vérité.

Jeudi 8 octobre 2009 à 11:07

Thomas riait en la regardant, ne cernant rien, la sentant lui échapper, impuissant. Elle esquivait ses rares questions, levait les yeux au ciel face à ses provocations, comme si les réponses étaient évidentes, et qu'elle ne comprenait pas comment il ne réussissait pas à les trouver par lui-même.
Un jour, elle arrivait défoncée, s'accrochait à son épaule, riait, puis soudainement sérieuse, lui demandait :
« Dis-moi, putain, à quoi, à quoi on peut se raccrocher ? 
- Je ne sais pas, ma belle. On a qu'à aller boire un verre, j'te paye un Long Island, ça nous remettra le crâne en place. Si t'es sage, on ira même au ciné. »
Ils étaient effectivement allés au cinéma, ils avaient hurlé de rire tout le long du film, et Chloé avait blottie sa tête contre son cou, Thomas posait la main sur sa cuisse, ils avaient mangé tout le pop-corn avant le début du film, et étaient ressortis dans la nuit en se tenant la main, le sourire aux lèvres, complices. Comme les autres, les amoureux, les heureux, les bénis. Thomas voulait envelopper Chloé de ses bras et la mettre à l'abri du monde, ne sachant seulement pas parler, sachant seulement la faire sourire. Ce soir-là, il l'avait sentie incroyablement vivante, elle babillait, parlait de tout et de rien, s'extasiant devant des choses futiles, chassant les pigeons d'un coup de pied dans le vide et riant en se tournant vers lui. C'était l'automne et de son bonnet s'échappait des mèches folles qui encadraient son visage heureux, son blouson était ouvert et ses mains ne tremblaient plus.
Thomas ne saurait même pas dire depuis combien de temps il connaît Chloé, car il lui semble qu'il la connaît depuis toujours, qu'il l'a reconnue au premier regard alors même qu'il ne l'avait jamais rencontrée. Il ne saurait même pas mettre les épisodes de leur fausse histoire dans le bon ordre, tellement Chloé, enfant folle, brouille les pistes et détourne la réalité. Suivre la piste de Chloé, c'est se perdre, et Thomas se perd avec joie en elle.

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