"Mais Chloé chassait ses doutes, fuyait la réalité, marchait le nez en l'air, allait boire des verres avec ses amis, elle se disait vivante quand elle s'étourdissait de trop, alors qu'elle vivait à l'envers."
"Chloé était en guerre, contre elle, contre le monde entier, et Thomas la regardait en riant de ses grands yeux noirs."
"Elle et sa cambrure, ses jambes interminables, ses yeux si francs et si profonds... Désormais elle fuyait ses regards, ou les soutenait au contraire avec une insolence folle, l'air de dire « Tu vois ? Tu vois à quel point on peut s'abîmer ? » et son sourire si lumineux était un mensonge. Chloé ne se ressemblait plus, Chloé était le mensonge."
"Il ne saurait même pas mettre les épisodes de leur fausse histoire dans le bon ordre, tellement Chloé, enfant folle, brouille les pistes et détourne la réalité. Suivre la piste de Chloé, c'est se perdre, et Thomas se perd avec joie en elle."
« Tu vois, les gens, ils aiment tout, ils aiment tellement tout que dans le fond ils n'aiment rien... Tout le monde est ami de tout le monde, c'est ridicule, et dans le fond, c'est horriblement triste parce que c'est horriblement faux. On arrive plus à percer les façades, on arrive plus à deviner les faux sourires, on arrive même plus à se toucher. On devient anonyme. Ça, oui, ça me fait du mal. Imagines le bonheur d'être unique pour quelqu'un qui reconnaîtra ton pas, ta silhouette au milieu de cent autres, ta voix dans le brouhaha... »
(...)
« Tu ne sais pas, Chloé, mais je reconnais ton pas, et ta silhouette, et ta voix, et même ton parfum... Je ne sais jamais où tu es, où tu vas, où tu te perds, je ne sais pas dans quoi tu te débats, mais tu es unique. Tu es trop forte pour te faufiler dans les petites portes des silences, tu me perds, tu me fais du mal quand je t'aperçois avec un autre, mais je ne peux être loin de toi. Je sais, je te fais mal aussi, je ne sais pas pourquoi, je me sens si fragile, si démuni face à toi. Mais quand je vois tes longs cheveux bruns tomber en cascade dans ton dos, ton sourire en coin, l'ironie au fond de tes yeux, les fossettes à tes joues, quand tu m'embrasses ou que tu me repousses, j'ai envie de te dire que je t'aime. Je t'aime tout le temps, malgré ta violence et tes sarcasmes, ou peut-être grâce à eux. »
« Qu'est-ce que tu fous là ? Qu'est-ce que ça t'apporte ? Tu n'as pas d'autres nanas à aller voir, à qui offrir des cafés, à emmener au cinéma, à baiser ? Fous-moi la paix, Thomas. Lâche-moi. Je n'ai pas envie de te voir, comme ça, en sortant des cours. Je veux juste me casser, rentrer chez moi, dormir.
- T'es une menteuse, Chloé. Je sais que tu ne vas pas rentrer chez toi. Pas tout de suite en tout cas. Tu vas encore aller traîner à droite, à gauche, et puis c'est pas une façon d'accueillir les gens qui ont envie de te voir. Tu fais chier, putain, je te donne pas de nouvelles tu fais la gueule, je viens te chercher tu fais la gueule... Tu m'emmerdes. Tu crois quoi ? Que je suis amoureux de toi peut-être ? Non mais regarde-toi, un peu ! T'es qu'une bonne copine, j'avais juste envie de discuter un peu avec toi, et tu m'envoies dans le mur.
- Si je suis qu'une bonne copine, alors on peut discuter... si tu m'offres une bière. »
"Thomas ne voulait pas abandonner sa vie, il ne voulait pas ressembler à ces autres qu'il voyait, ne voulait pas de la routine et du silence, de la violence de l'indifférence qui s'installe, il ne voulait jamais penser Chloé acquise, de peur qu'elle ne se réveille un matin et n'ait plus besoin de lui, de peur que quelque chose se brise."
"- C'est quoi que t'as pas compris dans ma phrase ? Je t'ai dit de te casser. J'ai aucune envie de dormir avec toi, aucune envie d'être avec toi, aucune envie de te donner mon numéro de portable ni que tu me laisses le tien, et même connaître ton prénom, c'est déjà trop pour moi. Tu t'attendais à quoi ? Je débarque dans le bar, tu m'aguiches, je t'invite chez moi, tu acceptes, je te prends comme une chienne sans me préoccuper de te faire jouir et tu ris, et tu voudrais dormir chez moi ? Tu connais un seul type qui dort avec sa poupée gonflable, toi ?"
"Il sortit, prit le métro, alla jusque sur les bords de la Seine, du côté de St Michel, s’assit sur le pont où un des tous premiers soirs il lui avait demandé de ne pas rentrer chez elle, de ne plus retourner voir l’autre, mais de rester avec lui. Il se rappelait de ses yeux heureux et inquiets, de son hésitation, de sa peau frissonnant dans le vent frais de la nuit malgré l’été, et surtout de son silence. Ils avaient ensuite parlé de tout et de rien, riant, il n’osait pas reposer sa question et Chloé faisait comme s’il n’avait rien dit. Il lui dit au bout de plusieurs heures que si elle voulait rentrer chez elle, il allait bientôt être trop tard pour le dernier train, et il voyait encore son regard espiègle, son sourire malicieux, le creux de ses fossettes quand, levant les yeux, elle lui avait demandé de quel train il parlait. "
"Il faisait si doux et la nuit était si belle qu’elle ne voulait même pas rentrer. Elle les avait orientés, ils avaient marché du Champ de Mars jusqu’à St Michel, enlacés, sans tellement se parler, il se rappelait de son regard perdu sur la Seine, dans les reflets des lampadaires sur l’eau, de la façon dont elle se serrait contre lui sans dire un mot quand la foule était trop dense, au loin. Il était alors facile de la serrer contre lui, d’embrasser ses cheveux juste au-dessus de son oreille, de déposer un baiser sur son front, sur sa joue, sur ses lèvres. Ils s’étaient assis à une terrasse au hasard, et avaient commandé chacun une bière. Elle allumait ses cigarettes à son briquet, et quand elle se penchait vers lui, elle repoussait ses cheveux derrière ses oreilles d’un geste rapide. Il avait finalement été trop tard pour reprendre le métro, et ils n’avaient pas eu le courage de chercher un taxi. Chloé l’avait alors entraîné vers l’hôtel. La chambre était au cinquième étage, dénuée de charme, vieillotte. A cause de la chaleur, Chloé avait enlevé son débardeur, se promenant en soutien-gorge, et assise sur l'appui de la fenêtre ouverte, elle fumait en sifflant les filles ivres qui passaient dans la rue, pour entendre rire Thomas."
Là, c'est tout de moi.
La photo aussi, prise à St Michel, la nuit après le feu d'artifice. Ce sont les seuls points communs avec Chloé et Thomas, autant les exploiter pour illustrer ces mots...
Elle me manquait, Chloé. Elle me manquait terriblement, en fait.