Mardi 15 novembre 2011 à 23:50

J'ai pris un billet pour Paris, il y a quelques jours, un aller-simple, pas de retour. Ce n'est pas que je ne compte pas rentrer. C'est juste que j'ai envie d'avoir cette possibilité de ne pas rentrer. Non pas qu'un billet m'oblige à prendre ce train, après tout, je pourrais en prendre un autre pour aller voir une connaissance ou l'autre dans je ne sais quel coin de la France. Non, c'est juste que j'avais profondément envie d'avoir cet aller simple, un aller simple comme une menace ou un espoir, j'avais envie de sentir que rien n'était joué.
Ce matin, je me suis levée tôt. Il faisait froid et je tremblais dans mon pull mince, je n'avais pas envie d'aller à la gare ou de dire au revoir, mais il y avait la réalité du billet dans ma poche, comme si c'était inéluctable, c'est débile, ce n'était qu'une feuille soigneusement pliée en quatre, on aurait même pas dit un billet. Au final, c'est trop con d'attacher autant d'importance à une feuille. Je suis quand même allée prendre ce premier train, jusqu'à Bordeaux. En pleurant, un peu, très vite. Et sans regarder par la fenêtre le long du quai, non, je regardais en face, de là où je m'étais installée, je ne voyais que le ciel, ça me convenait.
A Bordeaux, j'ai hissé mon gros sac sur mon épaule, la gauche, ça aussi c'est con, je suis droitière, mais je porte toujours tout ce qu'il y a de plus lourd du bras gauche. J'avais froid et je me suis quand même assise à une terrasse, tout en me maudissant. Il y avait de la place à l'intérieur, mais il y avait surtout trop de murs. J'ai commandé un café que j'ai laissé refroidir par inadvertance et un jus d'orange que je n'ai pas fini à cause de la pulpe. La serveuse de ce café n'est pas jolie, mais je la trouve chouette. Elle m'a appelée "ma belle", comme un réflexe, comme si je lui faisais penser à une fille qu'elle connaissait. J'ai ri, un peu, très vite aussi. Elle m'a rendu la monnaie, et quand elle s'est éloignée j'ai choisi une pièce, brillante, jolie, que j'ai laissée sur la table, un peu cachée sous la soucoupe, pour qu'elle pense que je l'avais oubliée là, comme ça, que je ne l'avais pas vue glisser.
Au bout d'un moment et de quelques cigarettes, je suis allée traîner dans la gare. De l'intérieur de la gare de Bordeaux, on ne voit pas bien les quais, on ne peut pas voir les gens qui se quittent ou qui se retrouvent, mon sac était trop informe pour m'asseoir dessus, et puis j'avais toujours froid.
Alors j'ai acheté un livre parce que j'en avais entendu parler, je ne me souvenais que du titre : L'Attrape-coeurs, de J.D Salinger. Ce titre, il traînait dans ma tête depuis un sacré bout de temps, il ressemble tellement à L'Arrache-coeur. Il y a des livres comme ça, je peux garder leur titre des années en moi sans jamais tenter d'imaginer leur contenu, ni essayer de les acheter, ni même prendre le moindre renseignement à leur sujet. Je sais qu'un jour je les lirai. Je l'ai vu, là, par hasard, au beau milieu des romans de gare, et je l'ai emporté, les gens faisaient la gueule, moi j'étais curieuse.
J'ai corné, comme toujours, les pages des passages que j'aimais. Je l'ai fini il y a à peine quelques minutes, c'est une édition bon marché et les pages se décollent déjà.
J'ai hâte de tomber comme ça sur Gatsby le Magnifique.

J'ai oublié de raconter ça aux Yeux Bleux. Pourtant, il me semble que c'est important, mais pourquoi, je ne sais pas.

Je sais juste que je suis la fille qui s'est barrée avec un gros sac et un aller simple pour d'obscures raisons.

Samedi 5 novembre 2011 à 11:10

 Je regarde des photos, prises dans un appart' dans le XIXème, et je me dis "On a l'air heureux" mais je me souviens que nous étions surtout défoncés. Il rit et je suis jolie, pourtant j'avais conscience du canal qui coulait en contrebas, ce canal sur lequel j'ai si souvent flotté avec le photographe. Je m'étais tue, bien évidemment, mais le canal restait là, présence familière au creux de moi.
Je me souviens je vivais encore à Paris, je me souviens des bars et des errances. Et des agonies, parfois un peu aussi.
Et si le photographe gueule assez fort, est-ce que j'entendrai encore ?

J'ai entamé une autre guerre qui ne me satisfait pas. 

L' s'étonne de mon silence et Angie se cogne à mon répondeur. J'aimerais qu'elles se disent : "Sale gosse" mais il n'en est rien.

Lundi 31 octobre 2011 à 17:24

 Cet automne qui se déguise en été qui s'éternise. Une bouteille posée à l'envers et puis un fatras de fringues, abandonnées sur le sol.  Les jours s'égrènent, lentement.
Ce matin sur la terrasse, la tasse au creux des mains, je repensais à ce que le photographe m'a dit hier. Des choses comme : "Je suis pressé de te revoir." et je me dis que c'est son tour de ne pas avoir le droit, mais je reste stoïque, j'accuse le coup.
Je me fais muette.
Pourtant je pourrais parler de la vigne incendiée par le soleil, le soir, cette impression d'être dans un univers d'or et de cuivre, je pourrais parler de la petite fille née cette semaine, si frêle, ou de la tombe de ce jeune homme que je n'ai pas connu et sur laquelle je n'ai su que redresser un pot de roses renversé par le vent, discrètement.
Pourtant.
Ici ou ailleurs, qu'importe. Ce sont les mots que je prononçais hier soir, sous la couette. Donne-moi envie d'être quelque part. Donne-moi des raisons. Je sais bien que je suis pas une nana aux photos super stylées, qui connaît le cinéma sur le bout des doigts, je suis pas née avec une cuillère en argent dans la bouche, et je suis pas la reine des soirées parisiennes, certes. Mais alors. Moi je te parlerai de la banlieue et de Paris plus passionnément, je te ferai écouter du punk, je te raconterai les nuits glauques et les belles aussi, même si je ne t'inventerai pas des mots insensés que tu comprendras, quoique j'ai même inventé un mot pour toi, un mot comme une espèce rare, je te dirai les soirées du cimetière et les reflets de l'aube sur les tombes gelées, peut-être même qu'un jour tu pourras lire des lignes de ma main, tu vois, il peut y en avoir, des moments. 

Et puis cet été qui n'en finit pas de mourir... 

En janvier le photographe est de retour. Un an, finalement. 

Samedi 1er octobre 2011 à 18:04

Je me vernis les ongles tout en agitant mes nouvelles et éphémères bouclettes de temps à autre. Je suis à Paris, bien au chaud dans la rôtissoire de la banlieue, et putain ce que ça me manquait.
Il y a un j'étais assise ici aussi, il y a un an tout était différent. ll y a un an c'était ma plus belle histoire, ma plus grande aventure. C'est marrant, cette nostalgie dénuée de regrets. Le soleil brille si fort, mes pieds crient des heures de balade et de shopping, et puis ces boucles autour de mon visage, ces boucles que j'adore. J'ai envoyé un message lui disant : "Si tu me voyais là maintenant, tu retomberais amoureux de moi immédiatement !", des mots un peu prétentieux un peu cons, mais parfois ça ne fait pas de mal.
Janis Joplin sème des notes que j'attrape au vol, cette douceur de la solitude parfois. Dans plus ou moins une heure, il sera là. J'espère que mes bouclettes ne seront pas trop défaites, que j'aurais la patience d'attendre que mon vernis sèche.
Le photographe reste fidèle à lui-même, ambigu et fuyant, et je souris avec tendresse face à mon écran. Il dit qu'il y a des choses que je n'ai pas le droit de lui écrire, je dis que pourtant si. J'ai tous les droits lorsque j'écris. Je lui ai envoyé :

"On ne fait pas un voyage. Le voyage nous fait et nous défait, il nous invente."(David Le Breton)

Et puis il a encore parlé de mon parfum dans Montréal, il a même parlé d'une fille qu'il a croisé et qui me ressemblait tellement qu'il a failli nous confondre, mais c'est toujours grâce à cette odeur de rose et de cigarette qu'il a su que ce n'était pas moi. Moi je ne lui écris pas que ce parfum je ne le porte plus depuis qu'il n'est plus là, parce qu'il l'aimait tellement que je ne peux pas le porter sans lui, comme un contrat.
Même si j'ai tous les droits, je ne lui écris pas tout ça.

Mardi 30 août 2011 à 11:58

 Il y a Août qui agonise et le soleil qui tape encore si fort. Ma peau si hâlée et puis, le creux.
Le téléphone, longtemps parfois. Sans promesses, pour une fois, personne ne sait à quel point cela me fait du bien. Je conchie les promesses. 
Topless sur la plage. Un nouveau bikini, flashy, sans importance.
J'ai dit des choses comme : "Le mal, c'est ce qui n'arrive pas." et puis : "Les hommes ne tolèrent pas d'être aimés par les femmes comme ils les aiment."
J'ai entendu que j'étais belle comme le jour ou sublime comme la nuit. J'ai aussi entendu de sales mots, et je guette les bruits au sein du pseudo-silence pour savoir si je peux écrire sans que personne ne sache qui je suis.
Quelqu'un m'a dit : "Tu es trop intelligente pour vivre." Grincement intérieur. Si tu savais, mon gars. Je ne suis rien d'autre que ce que je suis, basta.
J'ai fait quelques billards en buvant des demi-grenadine. Et puis fumé, beaucoup.
Une longue lettre à L', qui disait le vide.
Ce matin la migraine.
Et bientôt, le train, de nouveau, et puis seule, pour une fois.
Je me ferai encore trahir, je le vois venir.

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