"Alors Lucas entre dans une rage folle, il la plaque contre le mur, il se met à hurler, il est hors de lui, je ne l'ai jamais vu comme ça, il hurle qu'est-ce que tu fais, No, qu'est-ce que tu fais, il la secoue à toute force, réponds-moi, No, qu'est-ce que tu fais ? No serre les dents, les yeux secs, elle le regarde sans répondre, elle ne se défend pas, elle le regarde avec cet air de défi, et je sais bien ce que ça veut dire, il la tient par les épaules, et moi je crie arrête arrête et j'essaie de le retenir, elle le regarde et ça veut dire qu'est-ce que tu crois, comment tu crois qu'on peut s'en sortir, comment tu crois qu'on peut sortir de cette merde, je l'entends comme si elle hurlait, je n'entends que ça. (...)"
"Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'oeil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque."
"Alors je pense que la violence est là aussi, dans ce geste impossible qui va d'elle vers moi, ce geste à jamais suspendu."
No et moi,
Delphine de Vigan
Delphine de Vigan
Je l'avais compris quand j'ai cessé de pleurer. Je croyais que c'était ça, pourtant, la souffrance et le chagrin, ces grosses larmes qui ne s'épuisaient pas. J'ai compris que ce n'était pas ça quand il y a eu le gouffre dans le ventre, et quand je mordais ma lèvre jusqu'au sang. Du matin au soir ce trou dans le ventre qui ne me quittait pas et dont j'ai si souvent parlé, ce putain d'abîme dont je ne voyais pas la fin, et qu'il fallait bien essayer de combler. Avec tout et surtout avec n'importe quoi, et il en fallait toujours plus, et on était tous là à le sentir, ce truc vide qui pesait une tonne au fond de nous. Alors il a fallu apprendre à ignorer, et à éviter les miroirs, pour ne pas se dire qu'on allait tous finir par crever. Il fallait vivre comme si c'était possible. Tant pis si ça incluait de se vautrer dans tout ce qu'on trouvait, et tant pis si le vide paraissait plus épais encore.
C'était ça, ma violence.
J'ai eu 20 ans, ces derniers jours.