"LUI
Tu n'as rien vu à Hiroshima. Rien. (...)
"ELLEELLE
J'ai tout vu. Tout. (...)
Ainsi l'hôpital, je l'ai vu. J'en suis sûre. L'hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
Ainsi l'hôpital, je l'ai vu. J'en suis sûre. L'hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
LUI
Tu n'as pas vu d'hôpital à Hiroshima. Tu n'as rien vu à Hiroshima. (...)
ELLE
Je n'ai rien inventé.
LUI
Tu as tout inventé.
ELLE
Rien.
De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai. De même que dans l'amour."
De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai. De même que dans l'amour."
... Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Comment me serais-je doutée que cette ville était faite à la taille de l'amour ?
Comment me serais-je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même ?
Tu me plais. Quel évènement. Tu me plais.
Quelle lenteur tout à coup.
Quelle douceur.
Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
J'ai le temps.
Je t'en prie.
Dévore-moi.
Déforme-moi jusqu'à la laideur.
Pourquoi pas toi ?
Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
Je t'en prie..."
Oui, c'est long.
On m'a dit que ç'avait été très long.
A six heures du soir, la cathédrale Saint-Etienne sonne, été comme hiver.Un jour, il est vrai, je l'entends. Je me souviens l'avoir entendue avant - avant - pendant que nous nous aimions, pendant notre bonheur.
Je commence à voir.
Je me souviens avoir déjà vu - avant - avant - pendant que nous nous aimions, pendant notre bonheur.
Je me souviens.
Je vois l'encre.
Je vois le jour.
Je vois ma vie. Ta mort.
Ma vie qui continue. Ta mort qui continue (...)
et que l'ombre gagne déjà moins vite les angles des murs de la chambre. Et que l'ombre gagne déjà moins vite les angles des murs de la cave. Vers six heures et demie.
L'hiver est terminé."
Que ceux qui ne sont jamais allés en Bavière osent lui parler d'amour.
Tu n'étais pas tout à fait mort.
J'ai raconté notre histoire.
Je t'ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J'ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n'avais pas retrouvé... le goût d'un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t'oublie...
- Regarde comme je t'ai oublié.
Regarde-moi."
Je me souviens de toi.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Comment me serais-je doutée que cette ville était faite à la taille de l'amour ?
Comment me serais-je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même ?
Tu me plais. Quel évènement. Tu me plais.
Quelle lenteur tout à coup.
Quelle douceur.
Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
J'ai le temps.
Je t'en prie.
Dévore-moi.
Déforme-moi jusqu'à la laideur.
Pourquoi pas toi ?
Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
Je t'en prie..."
"ELLE
C'est comme l'intelligence, la folie, tu sais. On ne peut pas l'expliquer. Tout comme l'intelligence. Elle vous arrive dessus, elle vous remplit et alors on la comprend. Mais, quand elle vous quitte, on ne peut plus la comprendre du tout.
LUI
Tu étais méchante ?
ELLE
C'était ça ma folie. J'étais folle de méchanceté. Il me semblait qu'on pouvait faire une véritable carrière dans la méchanceté. Rien ne me disait que la méchanceté. Tu comprends ?"
"ELLE
Oui, c'est long.
On m'a dit que ç'avait été très long.
A six heures du soir, la cathédrale Saint-Etienne sonne, été comme hiver.Un jour, il est vrai, je l'entends. Je me souviens l'avoir entendue avant - avant - pendant que nous nous aimions, pendant notre bonheur.
Je commence à voir.
Je me souviens avoir déjà vu - avant - avant - pendant que nous nous aimions, pendant notre bonheur.
Je me souviens.
Je vois l'encre.
Je vois le jour.
Je vois ma vie. Ta mort.
Ma vie qui continue. Ta mort qui continue (...)
et que l'ombre gagne déjà moins vite les angles des murs de la chambre. Et que l'ombre gagne déjà moins vite les angles des murs de la cave. Vers six heures et demie.
L'hiver est terminé."
"ELLE
Elle n'est jamais allée en Bavière. (Elle se regarde dans la glace.) Je suis restée près de son corps toute la journée et puis toute la nuit suivante. Le lendemain matin on est venu le ramasser et on l'a mis dans un camion. C'est dans cette nuit-là que Nevers a été libérée. Les cloches de l'église Saint-Etienne sonnaient... sonnaient... Il est devenu froid peu à peu sous moi. Ah ! Qu'est-ce qu'il a été long à mourir. Quand ? Je ne sais plus au juste. J'étais couchée sur lui... oui... le moment de sa mort m'a échappé vraiment puisque... puisque même à ce moment-là, et même après, oui, même après, je peux dire que je n'arrivais pas à trouver la moindre différence entre ce corps mort et le mien... Je ne pouvais trouver entre ce corps et le mien que des ressemblances... hurlantes, tu comprends ? C'était mon premier amour..."
"ELLE
[J'ai l'honneur d'avoir été déshonorée. Le rasoir sur la tête, on a, de la bêtise, une intelligence extraordinaire...]
Je désire avoir vécu cet instant-là. Cet incomparable instant. (...)
Je désire avoir vécu cet instant-là. Cet incomparable instant. (...)
LUI
Dans quelques années, quand je t'aurais oubliée, et que d'autres histoire comme celle-là, par la force de l'habitude, arriveront encore, je me souviendrai de toi comme de l'oubli de l'amour même. Je penserai à cette histoire comme à l'horreur de l'oubli. Je le sais déjà."
"ELLE
[Apprendre la durée exacte du temps. Savoir comment le temps, parfois, se précipite puis sa lente retombée inutile et qu'il faut néanmoins endurer, c'est aussi ça, sans doute, apprendre l'intelligence. (...)
ELLE
Elle a eu à Nevers un amour de jeunesse allemand...
Nous irons en Bavière, mon amour, et nous nous marierons.
Nous irons en Bavière, mon amour, et nous nous marierons.
Que ceux qui ne sont jamais allés en Bavière osent lui parler d'amour.
Tu n'étais pas tout à fait mort.
J'ai raconté notre histoire.
Je t'ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J'ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n'avais pas retrouvé... le goût d'un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t'oublie...
- Regarde comme je t'ai oublié.
Regarde-moi."
"ELLE
Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Cette ville était faite à la taille de l'amour.
Tu étais fait à la taille de mon corps même.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
J'avais faim. Faim d'infidélités, d'adultères, de mensonges et de mourir.
Depuis toujours.
Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
Nous allons rester seuls, mon amour.
La nuit ne va pas finir.
Le jour ne se lèvera plus sur personne.
Jamais. Jamais plus. Enfin.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
Nous n'aurons plus rien d'autre à faire, plus rien que pleurer le jour défunt.
Du temps passera. Du temps seulement.
Et du temps va venir.
Du temps viendra. Où nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
Puis, il disparaîtra tout à fait."
Je me souviens de toi.
Cette ville était faite à la taille de l'amour.
Tu étais fait à la taille de mon corps même.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
J'avais faim. Faim d'infidélités, d'adultères, de mensonges et de mourir.
Depuis toujours.
Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
Nous allons rester seuls, mon amour.
La nuit ne va pas finir.
Le jour ne se lèvera plus sur personne.
Jamais. Jamais plus. Enfin.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
Nous n'aurons plus rien d'autre à faire, plus rien que pleurer le jour défunt.
Du temps passera. Du temps seulement.
Et du temps va venir.
Du temps viendra. Où nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
Puis, il disparaîtra tout à fait."
"ELLE
Tandis que mon corps s'incendie déjà à ton souvenir. Je voudrais revoir Nevers... la Loire. (...)
Peupliers charmants de la Nièvre je vous donne à l'oubli. (...)
Histoire de quatre sous, je te donne à l'oubli. (...)
Une nuit loin de toi et j'attendais le jour comme une délivrance. (...)
Un jour sans ses yeux et elle en meurt.
Petite fille de Nevers.
Petite coureuse de Nevers.
Un jour sans ses mains et elle croit au malheur d'aimer.
Petite fille de rien.
Morte d'amour à Nevers.
Petite tondue de Nevers, je te donne à l'oubli ce soir.
Histoire de quatre sous.
Comme pour lui, l'oubli commencera par tes yeux.
Pareil.
Puis, comme pour lui, l'oubli gagnera ta voix.
Pareil.
Puis, comme pour lui, il triomphera de toi tout entier, peu à peu.
Tu deviendras une chanson. (...)
Peupliers charmants de la Nièvre je vous donne à l'oubli. (...)
Histoire de quatre sous, je te donne à l'oubli. (...)
Une nuit loin de toi et j'attendais le jour comme une délivrance. (...)
Un jour sans ses yeux et elle en meurt.
Petite fille de Nevers.
Petite coureuse de Nevers.
Un jour sans ses mains et elle croit au malheur d'aimer.
Petite fille de rien.
Morte d'amour à Nevers.
Petite tondue de Nevers, je te donne à l'oubli ce soir.
Histoire de quatre sous.
Comme pour lui, l'oubli commencera par tes yeux.
Pareil.
Puis, comme pour lui, l'oubli gagnera ta voix.
Pareil.
Puis, comme pour lui, il triomphera de toi tout entier, peu à peu.
Tu deviendras une chanson. (...)
ELLE
[C'est dans cette cave de Nevers que l'amour de cet homme m'est venu. Que l'amour de toi m'est venu.
Dans le quartier de Beausoleil où mon souvenir reste comme un exemple à ne plus suivre l'amour de toi m'est venu.]
[C'est parce que dans le quartier de Beausoleil mon souvenir est resté comme un exemple à ne plus suivre, que je suis devenue, un jour, libre de t'aimer. Je n'aurais jamais osé t'aimer si je n'avais pas laissé à Beausoleil cet inqualifiable souvenir. Beausoleil, je te salue, je voudrais te revoir ce soir. Beausoleil, bête à pleurer.]
Dans le quartier de Beausoleil où mon souvenir reste comme un exemple à ne plus suivre l'amour de toi m'est venu.]
[C'est parce que dans le quartier de Beausoleil mon souvenir est resté comme un exemple à ne plus suivre, que je suis devenue, un jour, libre de t'aimer. Je n'aurais jamais osé t'aimer si je n'avais pas laissé à Beausoleil cet inqualifiable souvenir. Beausoleil, je te salue, je voudrais te revoir ce soir. Beausoleil, bête à pleurer.]
"ELLE
Je t'oublierai ! Je t'oublie déjà ! Regarde, comme je t'oublie ! Regarde -moi !
Il la tient par les bras, (...), elle se tient face à lui, la tête renversée en arrière. Elle s'écarte de lui avec beaucoup de brutalité.
Il l'assiste dans l'absence de lui-même. Comme si elle était en danger.
Il la regarde, tandis qu'elle le regarde comme elle regarderait la ville et l'appelle tout à coup très doucement.
Elle l'appelle "au loin", dans l'émerveillement. Elle a réussi à le noyer dans l'oubli universel. Elle en est émerveillée.
Il l'assiste dans l'absence de lui-même. Comme si elle était en danger.
Il la regarde, tandis qu'elle le regarde comme elle regarderait la ville et l'appelle tout à coup très doucement.
Elle l'appelle "au loin", dans l'émerveillement. Elle a réussi à le noyer dans l'oubli universel. Elle en est émerveillée.
ELLE
Hi-ro-shi-ma.
ELLE
Hi-ro-shi-ma. C'est ton nom.
Ils se regardent sans se voir. Pour toujours.
LUI
C'est mon nom. Oui.
[On en est là seulement encore. Et on en restera là pour toujours.] Ton nom à toi est Nevers. Ne-vers-en-Fran-ce."
[On en est là seulement encore. Et on en restera là pour toujours.] Ton nom à toi est Nevers. Ne-vers-en-Fran-ce."
Hiroshima mon amour, Marguerite Duras