J'ai pris un billet pour Paris, il y a quelques jours, un aller-simple, pas de retour. Ce n'est pas que je ne compte pas rentrer. C'est juste que j'ai envie d'avoir cette possibilité de ne pas rentrer. Non pas qu'un billet m'oblige à prendre ce train, après tout, je pourrais en prendre un autre pour aller voir une connaissance ou l'autre dans je ne sais quel coin de la France. Non, c'est juste que j'avais profondément envie d'avoir cet aller simple, un aller simple comme une menace ou un espoir, j'avais envie de sentir que rien n'était joué.
Ce matin, je me suis levée tôt. Il faisait froid et je tremblais dans mon pull mince, je n'avais pas envie d'aller à la gare ou de dire au revoir, mais il y avait la réalité du billet dans ma poche, comme si c'était inéluctable, c'est débile, ce n'était qu'une feuille soigneusement pliée en quatre, on aurait même pas dit un billet. Au final, c'est trop con d'attacher autant d'importance à une feuille. Je suis quand même allée prendre ce premier train, jusqu'à Bordeaux. En pleurant, un peu, très vite. Et sans regarder par la fenêtre le long du quai, non, je regardais en face, de là où je m'étais installée, je ne voyais que le ciel, ça me convenait.
A Bordeaux, j'ai hissé mon gros sac sur mon épaule, la gauche, ça aussi c'est con, je suis droitière, mais je porte toujours tout ce qu'il y a de plus lourd du bras gauche. J'avais froid et je me suis quand même assise à une terrasse, tout en me maudissant. Il y avait de la place à l'intérieur, mais il y avait surtout trop de murs. J'ai commandé un café que j'ai laissé refroidir par inadvertance et un jus d'orange que je n'ai pas fini à cause de la pulpe. La serveuse de ce café n'est pas jolie, mais je la trouve chouette. Elle m'a appelée "ma belle", comme un réflexe, comme si je lui faisais penser à une fille qu'elle connaissait. J'ai ri, un peu, très vite aussi. Elle m'a rendu la monnaie, et quand elle s'est éloignée j'ai choisi une pièce, brillante, jolie, que j'ai laissée sur la table, un peu cachée sous la soucoupe, pour qu'elle pense que je l'avais oubliée là, comme ça, que je ne l'avais pas vue glisser.
Au bout d'un moment et de quelques cigarettes, je suis allée traîner dans la gare. De l'intérieur de la gare de Bordeaux, on ne voit pas bien les quais, on ne peut pas voir les gens qui se quittent ou qui se retrouvent, mon sac était trop informe pour m'asseoir dessus, et puis j'avais toujours froid.
Alors j'ai acheté un livre parce que j'en avais entendu parler, je ne me souvenais que du titre : L'Attrape-coeurs, de J.D Salinger. Ce titre, il traînait dans ma tête depuis un sacré bout de temps, il ressemble tellement à L'Arrache-coeur. Il y a des livres comme ça, je peux garder leur titre des années en moi sans jamais tenter d'imaginer leur contenu, ni essayer de les acheter, ni même prendre le moindre renseignement à leur sujet. Je sais qu'un jour je les lirai. Je l'ai vu, là, par hasard, au beau milieu des romans de gare, et je l'ai emporté, les gens faisaient la gueule, moi j'étais curieuse.
J'ai corné, comme toujours, les pages des passages que j'aimais. Je l'ai fini il y a à peine quelques minutes, c'est une édition bon marché et les pages se décollent déjà.
J'ai hâte de tomber comme ça sur Gatsby le Magnifique.
J'ai oublié de raconter ça aux Yeux Bleux. Pourtant, il me semble que c'est important, mais pourquoi, je ne sais pas.
Je sais juste que je suis la fille qui s'est barrée avec un gros sac et un aller simple pour d'obscures raisons.
Ce matin, je me suis levée tôt. Il faisait froid et je tremblais dans mon pull mince, je n'avais pas envie d'aller à la gare ou de dire au revoir, mais il y avait la réalité du billet dans ma poche, comme si c'était inéluctable, c'est débile, ce n'était qu'une feuille soigneusement pliée en quatre, on aurait même pas dit un billet. Au final, c'est trop con d'attacher autant d'importance à une feuille. Je suis quand même allée prendre ce premier train, jusqu'à Bordeaux. En pleurant, un peu, très vite. Et sans regarder par la fenêtre le long du quai, non, je regardais en face, de là où je m'étais installée, je ne voyais que le ciel, ça me convenait.
A Bordeaux, j'ai hissé mon gros sac sur mon épaule, la gauche, ça aussi c'est con, je suis droitière, mais je porte toujours tout ce qu'il y a de plus lourd du bras gauche. J'avais froid et je me suis quand même assise à une terrasse, tout en me maudissant. Il y avait de la place à l'intérieur, mais il y avait surtout trop de murs. J'ai commandé un café que j'ai laissé refroidir par inadvertance et un jus d'orange que je n'ai pas fini à cause de la pulpe. La serveuse de ce café n'est pas jolie, mais je la trouve chouette. Elle m'a appelée "ma belle", comme un réflexe, comme si je lui faisais penser à une fille qu'elle connaissait. J'ai ri, un peu, très vite aussi. Elle m'a rendu la monnaie, et quand elle s'est éloignée j'ai choisi une pièce, brillante, jolie, que j'ai laissée sur la table, un peu cachée sous la soucoupe, pour qu'elle pense que je l'avais oubliée là, comme ça, que je ne l'avais pas vue glisser.
Au bout d'un moment et de quelques cigarettes, je suis allée traîner dans la gare. De l'intérieur de la gare de Bordeaux, on ne voit pas bien les quais, on ne peut pas voir les gens qui se quittent ou qui se retrouvent, mon sac était trop informe pour m'asseoir dessus, et puis j'avais toujours froid.
Alors j'ai acheté un livre parce que j'en avais entendu parler, je ne me souvenais que du titre : L'Attrape-coeurs, de J.D Salinger. Ce titre, il traînait dans ma tête depuis un sacré bout de temps, il ressemble tellement à L'Arrache-coeur. Il y a des livres comme ça, je peux garder leur titre des années en moi sans jamais tenter d'imaginer leur contenu, ni essayer de les acheter, ni même prendre le moindre renseignement à leur sujet. Je sais qu'un jour je les lirai. Je l'ai vu, là, par hasard, au beau milieu des romans de gare, et je l'ai emporté, les gens faisaient la gueule, moi j'étais curieuse.
J'ai corné, comme toujours, les pages des passages que j'aimais. Je l'ai fini il y a à peine quelques minutes, c'est une édition bon marché et les pages se décollent déjà.
J'ai hâte de tomber comme ça sur Gatsby le Magnifique.
J'ai oublié de raconter ça aux Yeux Bleux. Pourtant, il me semble que c'est important, mais pourquoi, je ne sais pas.
Je sais juste que je suis la fille qui s'est barrée avec un gros sac et un aller simple pour d'obscures raisons.
Mais qu'est-ce que c'est jouissif, de penser va où l'on veut, qu'on peut regarder, toucher, faire ce dont il nous plaira.
Tes mots sont biens jolis.