Mardi 18 janvier 2011 à 19:33

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Tac tac tac.
J'allume ma cigarette.
Les pas sur le bitume, le rush de la fin de journée, je suis dans la masse, le nez dans mon écharpe entre deux bouffées mais le blouson ouvert. Je ressasse les mêmes choses, toujours, l'absence, le vide, la fatigue, la solitude, toutes ces conneries, surtout je pense à l'orgueil intimement lié au masochisme sentimental. "Non tu vois, non, moi je n'ai pas mal, moi je n'ai pas de coeur !" Parce que oui, dire à quelqu'un qu'il fait souffrir, qu'il irrite, qu'il brûle, qu'il agace, c'est lui donner de l'importance, lui donner un pouvoir.
Je nie en bloc.
On m'a souvent dit que mon orgueil me perdrait. J'en suis bouffie. Bouffie autant que peut l'être un visage d'alcoolique, comme le sien parfois au lendemain d'une cuite mémorable, bouffi et rouge, tandis que le mien est blême et creusé de cernes, tout comme dimanche matin après une nuit où j'ai encore clairement assumé mes vices, me roulant sur un lit en hurlant d'un rire hystérique et incontrôlable, à chercher mon souffle entre deux cris stridents, mon souffle haletant, hoquetant, je perds l'équilibre et me rattrape du bout de la bottine.
Finies les larmes, rions, rions, encore.

Et toujours cette révolte adolescente au fond, l'oeil froid barré d'une mèche rebelle, les talons trop hauts, le buste très droit, non je ne m'incline pas, je ne m'inclinerai pas, je ne lâcherai pas l'affaire, je ne me laisserai pas mettre une laisse au cou, je ne suivrai personne nulle part.
Je suis tellement têtue.
Je veux qu'on me pousse dans mes retranchements, à la limite du supportable, et résister encore et encore, résister jusqu'au bout, même aux abois, pourvu que mon compagnon de jeu soit assez intelligent pour abdiquer, et partir ou accepter, alors enfin je m'apaiserai.

Je n'ai pas peur de perdre, parce que je sais ce que c'est, tout comme je n'ai pas peur d'avoir mal, ni d'être vide, ni d'être seule.
Ce qui me donne le vertige ?
L'incertitude.

Un jour je grandirai.

Vendredi 14 janvier 2011 à 18:54

"Sans tes talons, je suis sur que t'es plus petite que moi."
Je toise l'énergumène, AC/DC continuant à brailler depuis le casque ceignant mon cou,que j'avais effectivement ôté par politesse, curieuse de voir ce que ce plouc tentait de me dire.
Contexte : je me lève pour sortir du RER, et tombe nez à nez face à quatre abrutis debout devant la porte qui ne trouvent rien de mieux à faire que de me regarder de haut en bas et de s'échanger des coups de coude en rigolant.
Je suis de mauvaise humeur, mais puisque j'ai enlevé mon casque, je décide de communiquer.
Je le toise toujours, et souris, narquoise.
"Rassure-toi. Je serai toujours plus grande que toi."
Je me faufile entre eux, cale ma roulée à la bouche, et remets mes écouteurs. Je m'éloigne, ma jupe se balance au rythme de mes pas. Je me marre intérieurement en pensant à la mine outrée du type qui a eu l'air de se sentir violé dans sa virilité. Oh tiens, une fille qui répond.
1m79 sans talons, 1m89 avec.

Je marche, je sors de la gare, je pense à plein de choses, je pense à ce que j'ai pensé, à ce que je vais faire, à quelle soirée j'irai demain, ce que je porterai, et lui que fait-il ?

Mercredi était le jour de son départ, date maudite dont pour une raison inconnue je n'ai pas arrêté d'entendre parler, 12 janvier, date apparemment de beaucoup de commencements, et d'un au revoir.
Ce matin-là j'étais confiante, je n'ai pas été surprise quand il m'a appelée depuis l'aéroport. Je savais qu'il le ferait.
" Ecoute, je vais te le dire au cas où tu m'aies zappé dans trois mois, je...
- Dis pas ça.
- Hein ?
- Dis pas ça. Je te zapperai pas. Ca me fait de la peine que tu me dises ça.
- Je sais.
- Et dis pas ça de toute façon. On se reverra.
- Et puis t'inquiètes pas, j'ai ton adresse, je vais t'écrire, j'essaierai de me connecter autant que possible, t'inquiètes pas, hein ?
- Je ne m'inquiète pas.
- Fais bien attention à toi, prends soin de toi...
- Toi aussi..."
A 11h, heure de décollage, j'étais dehors et je fumais une cigarette. J'aurais pu m'abriter, mais non, j'étais sous la pluie. La pluie de juillet, celle de novembre et celle de janvier, la plus triste, la pluie que tu regardais l'autre nuit debout devant ta baie vitrée, et qui tombe encore à verse ce soir. Toute la journée j'ai des palpitations telles que je me retrouve pliée en deux à mon bureau, à chercher mon souffle, ou même je me réveille en pleine nuit, je penseà toi, et mon coeur cogne fort, je sens le battement sourd sous ma peau, je m'allonge sur le dos, j'ouvre la bouche, j'avale de grandes goulées d'air, longtemps, longtemps, et enfin mon palpitant s'apaise et je sombre.
L'autre nuit je suis rentrée seule, encore une fois, et je me suis mise à rire parce que je pensais : "Toi tu es seul à Montréal, et moi je suis seule dans la banlieue de Paris, on est pas si loin."

Je repense à ça en marchant de la gare à chez moi, je me demande si je regretterai un jour de t'avoir empêché de me dire ce que tu avais envie de me dire, je me demande si c'est bizarre que je n'ai pas besoin de l'entendre, je me demande si je te manque.
Me bottines sur le bitume. Tac tac tac. Ma jupe kaki, très courte, qui se balance. Mes collants noirs, mes grandes chaussettes noires, mon blouson ouvert et mes cheveux relevés. Une vraie fille au caractère de garçon manqué.
J'erre un peu, heureuse d'être seule, apaisée, j'erre à en avoir très mal aux pieds.
Je pense à mes rêves, à ces rêves magnifiques que je fais en ce moment, des rêves beaux et étranges. Tu aimes que je te les raconte, même quand ils sont laids, tristes ou terrifiants, tu aimes mes rêves.
Trois mois. Ca peut être très long ou très court. Je vais guetter mes boîtes de réception et surtout ma boîte aux lettres, pour avoir ton écriture et le temps que tu auras mis à écrire cette lettre, pour tenir entre mes mains quelque chose que tu auras tenu entre les tiennes à l'autre bout de l'océan.

J'ai déjà appelé Angie pour lui dire comment je m'habillerai demain, puisqu'elle et moi avons parfois la surprise de constater que nous nous sommes habillées pareil sans nous être consultées. Je lui ramènerai les collants que je lui ai acheté, des collants fantaisie qui devraient lui plaire, et dont elle n'a encore aucune idée, et puis du champagne et du vin, peut-être même du porto aussi, et une bouteille de bière dort encore à la morgue.
Je porterai probablement mon short en jean bleu clair, des collants gris, mes bottines, et un t-shirt noir à manches longues parodiant les bouteilles de Jack Daniel's.

J'irai oublier de penser, j'irai boire et fumer, rire et parler, et toujours, toujours au fond de moi cette question : "Et toi, que fais-tu ?"



Jeudi 6 janvier 2011 à 21:18

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Il n'y avait rien pour nous nulle part.
Tu disais que j'étais parfois si enfantine que c'en était malsain. Tu disais que je traînais de la tristesse, que je dégageais quelque chose de mélancolique, et tu me faisais rire, tu aimais m'entendre rire. Tu disais tout le temps tellement de choses.
J'ai été pour toi enfant, chaton, femme fatale, clown, joueuse, chienne.
On porte tous les deux un prénom à la con, on n'est pas dupes de nous-mêmes, on est tristes, nerveux, on boit, on fume trop, on est lâches.
Ta lâcheté c'était d'être odieux, la mienne c'était d'être toujours indifférente. Et pourtant, pourtant, qu'est-ce que je hurlais intérieurement, combien de fois j'ai retenu de justesse mes paroles, et j'ai menti aussi, j'ai fait une promesse que personne n'aurait pu tenir, j'ai menti et je le savais que je mentais, je m'en foutais.
Hier soir une larme a roulé dans la pénombre, mes cheveux masquaient mon visage, tu parlais, je pleurais sans un bruit, sans un sanglot, sans que tu t'en rendes compte, je t'aime trop pour te retenir avec des moyens aussi bas, je t'aime trop pour ça, et la larme dévalait ma joue et au bout de ta phrase, synchrone, elle est tombée en un bruit mat et sourd.
Ce matin, devant ce café trop sucré, comme tu me le fais toujours, et jamais jamais je ne te le dis, mes lèvres ont dit toutes seules :
"C'est passé trop vite."
Du fond de la couette tu as poussé un grognement, j'allais bosser, pas toi.
Je retenais mes larmes, je repensais à mes gestes un peu ridicules parfois comme la façon de serrer la serviette contre moi quand tu es revenu dans la salle de bains en caleçon et t-shirt alors que j'étais encore nue après notre douche, alors que tu m'avais vue nue, agenouillée, chienne, offerte, offrant, cette façon de cacher mon corps et de te lancer un regard paniqué, et toi qui comprends, ne dis rien, et ressors, et moi au matin les cheveux tout ondulés, les larmes aux yeux et le coeur gondolé et fou, le nez dans ma tasse et toi le nez dans ta couette, et tous les mots qu'il était bien trop tard pour dire, parce qu'il aurait fallu parler longtemps et que je n'avais pas le temps, que je ne voulais pas avoir le temps, moi les larmes aux yeux en train de fuir sans bouger.
J'ai enfilé pull et gilet, et ta voix, le son de ta voix m'est arrivé bien avant le sens de tes paroles, chaque seconde était plus forte, plus intense, chaque seconde faisait du bien et du mal, et ta voix, ta bouche qui prononce : "Tu viens m'embrasser avant de partir ?", mais quelle ironie, sale fou, c'est toi qui pars, c'est toi qui fuis mais tu sais que moi aussi. Sur le côté, tu me tournes le dos, et je colle mon corps contre le tien, je mets le nez dans ton cou, au plus près de ton odeur, je t'embrasse la nuque, les joues, les tempes, je dévale ton cou du bout de mon doigt, pleine de larmes dont je ne veux pas, je tremble de tout mon corps et je respire trop vite, tu te plaques contre moi, tu passes ta main dans mes cheveux, et tu dis :
"Peut-être qu'on ne se reverra plus jamais, Maïa.
- Dis pas ça.
- Non mais c'est vrai. Je reverrai peut-être jamais Paris de ma vie.
- ...
- Prends soin de toi.
- Toi aussi, prends soin de toi."
Je me relève, j'enfile lentement, très lentement, ou peut-être était-ce rapide, je ne sais pas, mais cela m'a paru long, j'enfile mes bottes, mon blouson noir, mes mitaines, j'enroule mon écharpe autour de mon cou. Je m'approche de toi, tu n'as pas bougé, tu ne bouges pas, tu ne bougeras pas, tu ne diras rien, je le sais, je me penche et je t'embrasse sur la joue.
Je m'éloigne vers la porte. Ta voix, encore une dernière fois vers moi, encore.
"A bientôt, peut-être."
Et ma bouche articule d'une voix faible, enrouée, si bien que tu me fais répéter, mes lèvres disent ces deux mots :
"A plus."
Pour une fois, je ne claque pas la porte. Je la ferme doucement.
Je mets mon casque, je lance la musique. Dans la rue, je me retourne vers tes fenêtres, je t'imagine blotti derrière, je t'imagine encore un peu, pour rester encore avec toi, garder ton image vivante et nerveuse, des larmes coulent sur mon visage, je m'éloigne et je mets longtemps à me rendre compte qu'il pleut.

Ce n'était qu'une histoire où l'on ne pouvait pas se dire que l'on s'aimait, ce n'était qu'une histoire de fiers et de lâches, ce n'était que toi, rien que toi, que toi avec qui je n'ai jamais imaginé ma vie, ce n'était qu'une histoire de fous.



Lundi 3 janvier 2011 à 21:31

Avant je me disais qu'avoir un rêve seule, c'était trop triste. C'était pour ça que je voulais trouver quelqu'un qui avait le même rêve que moi.
Mais je rêve toute seule.
Je m'y suis faite. Je ne suis pas la seule à être enfermée dans sa tête, ni à regarder la vie comme un feuilleton. Pendant longtemps, pourtant, j'ai eu peur de cette solitude. Alors je riais, je sortais, je rencontrais des gens. Et puis, à chaque fois, au bout d'un moment, je coupais les ponts brusquement, jusqu'à être seule. Maintenant, j'ai l'habitude de dire que moi et mon moi-même, on s'entend plutôt bien.
J'ai effacé la notion de "demain". Demain on verra bien. Demain, c'est presque comme aujourd'hui.
Cela aurait pu être différent, pourtant, par exemple j'aurais pu faire une liste de tout ce que je veux absolument accomplir avant de mourir. Mais ça n'a aucun sens, puisque la liste serait vide.

Je trouve toujours ce mot, au bout du compte : le vide.

Pourtant, j'ai débuté un nouveau travail. Je traîne avec Angie. Il y a le photographe, aussi.
Je garde le cap. Je me mets des oeillères, je m'invente des buts à court terme du genre : "trouver comment m'acheter des clopes jusqu'à la fin du mois sans demander d'avance sur salaire". Solution : trouver des endroits où ils rendent la monnaie sur les tickets restaurants et ne pas trop manger devrait me permettre de fumer, et peut-être, si je m'en sors très bien, de boire quelques bières.

Je regarde des plans de métro et je m'imagine des trajets absurdes : "Si j'étais à Luxembourg et que je voulais aller à Montreuil, alors comment est-ce que je ferais ?"
Est-il besoin de préciser que le point de chute ne change jamais ?

Je songe longtemps à mes rêves, aussi, j'ai toujours peur de les oublier, même si ils sont horribles parfois. Ou carrément bizarres.
"Je suis dans un donjon et je dois sauver une princesse. Lorsque j'arrive dans sa chambre, la princesse, qui est une petite fille, se retourne, me regarde et sourit. D'un seul coup des gardes armés de lances surgissent de partout et m'empêchent de l'atteindre. Elle monte sur l'encadrement de la fenêtre, se tourne entièrement vers moi, souriant toujours, mais elle pleure en même temps. Elle saute.
Je me précipite vers elle en hachant les gardes, mais je ne peux pas la rattraper. Je saute par la fenêtre et atterris souplement à côté de son cadavre démembré. Mes amis sont là, dans la cour devant le château. Un monstre gigantesque arrive et mes amis engagent le combat, je les vois se battre. Je cours dans la direction opposée et saute d'un bond sur le mur d'enceinte, où je m'accroupis pour regarder la scène. Mes amis se font tuer les uns après les autres. J'ai conscience que je les ai trahis, mais je ne ressens aucune culpabilité. Je m'en vais.
Je me retrouve au bord de la mer, la plage est couverte de neige. Deux mois se sont écoulés. Je vis dans la solitude la plus totale, dans un décor monochrome, gris. Je me sens sereine, apaisée. Je marche sur une pente, au-dessus d'une falaise, afin d'atteindre la cabane en bois qui est ma maison. Je glisse sur la neige, et me rattrape de justesse à des racines. J'ai terriblement peur de mourir, et je pense que je veux vivre, vivre, vivre. Je rentre dans la cabane, qui est vide. Il y a simplement une table, une chaise, et un grand verre d'eau claire sur la table. Je m'avance pour boire, mais j'entends un bruit derrière moi. Une jeune femme se tient à contre-jour dans l'embrasure de la porte, que je n'avais pas refermée. Je ne distingue pas ses traits. Je sais qu'elle est là pour me faire payer ma trahison envers mes amis, mais je ne ressens toujours pas de culpabilité. Je savais que ce serait ainsi. Je suis simplement heureuse d'avoir pu vivre dans cette cabane au bord de la mer, heureuse qu'ils soient tous morts.
Elle pointe un revolver vers moi, et tire."

"Je suis dans une pièce très sombre et très encombrée, et il y a une fille que je ne connais pas mais qui vit là. En fait je suis dans son salon, les volets sont fermés. On entend un bruit suivi d'un hurlement terrifiant dans la pièce d'à côté. Le salon a deux portes, et la "chose" peut rentrer par chacune des portes. La fille court se cacher en me hurlant d'en faire de même sinon il va me trouver, mais elle ne m'aide pas. J'escalade et me perche tant bien que mal en haut d'une armoire. La "chose" entre, c'est en fait un humain, pâle, chauve, avec de grands yeux, une bouche immense d'où dépasse des crocs et coule du sang, sa langue pend hors de sa gueule. Il me regarde.
Deux minutes plus tard, je suis dans une salle à manger très lumineuse, attablée. L'homme monstrueux arrive, me sert du thé et nous papotons. Il me sert des gâteaux de sa création sur une petite assiette en porcelaine. Les gâteaux sont à la grenadine. Je me sens bien."

Samedi 1er janvier 2011 à 0:00

Pauvres fous.
Rien ne changera.

Je bois mon champagne et je ris.

Avec moi-même, je ris.

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