Lundi 7 septembre 2009 à 11:28

Elle lui parlait de ce qu'elle avait vécu avec lui, autrefois, les yeux écarquillés, brillants, un léger sourire aux lèvres, passionnée. Elle lui disait des choses comme : "Et quand on était rentrés, le soleil se levait, et tu m'avais cueillie une rose dont tous les pétales étaient aussitôt tombés, alors on avait éclaté de rire." Lui la regardait, calé au fond du fauteuil, les pieds sur la table basse, l'air peu concerné. Elle comprit qu'elle avait vécu quelque chose de beau, d'unique, mais qu'elle l'avait vécu seule. Il poussa même la cruauté jusqu'à demander : "Ah bon ? C'était avec toi ? J'étais persuadé que c'était une autre..." et elle maudit cet alcool qui le faisait enfin paraître tel qu'il était, froid, arrogant et vulgaire. Son cerveau avait enregistré le décalage, mais elle ne voulait pas l'admettre, ne pouvait pas, en réalité, comment se résoudre à se dire que toutes ces caresses, ces promesses, ces mots, ces gestes tendres n'étaient que pour mieux la séduire, et mieux l'asservir ? Lui qui dans ses souvenirs avaient toujours été sur un piédestal, "le seul qui m'a rendue heureuse", lui pour qui elle aurait tout balancé aux oubliettes pour le suivre au bout de la terre, n'était qu'un petit con semblable aux autres, qu'elle avait cru différent.
En réalité, elle se haïssait d'avoir été si naïve, elle l'avait même cru de la même trempe qu'elle : libre, insouciant, indépendant, d'une gaieté parfois morbide, rayonnant d'une aura sombre et lumineuse à la fois, tel un enfant qui aurait compris trop de choses trop tôt, mais garderait une partie de son innocence, de sa pureté, même au plus profond de ses vices.
Ainsi elle n'avait jamais été différente des autres. Elle éclata d'un rire sans joie, et lui demanda de lui resservir un whisky, écossais, pour être précise, puisque la défonce se parait des atours du luxe, maintenant qu'il avait hérité d'une jolie somme. Il lui avait dit : "Tu verras, maintenant je suis riche, je t'emmènerai au cinéma, je t'offrirai tes cigarettes, je te payerai des verres, je te dois bien ça, tu verras." Mais il avait annulé le cinéma, et ce soir, il piochait dans son paquet de Lucky Strike sans même lui demander.
La colère montait mais elle n'en voulait rien montrer, elle le regardait attentivement, attendant le prochain coup qui ne saurait tarder. En effet, il lui sourit : "Dis, la prochaine fois, tu ramènes des copines ? Surtout Lucile. J'ai toujours rêvé de me faire Lucile et toi en même temps."
Il frappait fort, le salaud. Elle retroussa un coin de ses lèvres en un rictus amer et souriant, haussa les épaules, et lâcha d'une voix où perçait un petit rire : "Lucile ? Elle a quelqu'un. Un type bien, elle est heureuse. De toute façon, tu n'as jamais été son genre. Et moi non plus, d'ailleurs."
Il éclata de rire en la regardant dans les yeux, l'air d'apprécier son sens de la répartie. De but en blanc, il lui déclara, nonchalant : "Tu as raison, ne te laisses jamais faire. Gardes la tête haute. Toujours la tête haute. C'est ce qui m'a toujours plus chez toi."
Elle haussa les épaules, vida son verre d'un trait. Elle comprit que ce serait désormais la guerre, tacite, sous des airs de discussion légère.

Jeudi 3 septembre 2009 à 15:16

Depuis des années elle arpente les mêmes rues, le nez levé la nuit, la même couche de pollution trouble les mêmes étoiles. Les mêmes araignées font leurs toiles dans les mêmes lampadaires.
Les mêmes visages dans les bars.
Il n'y a plus de place pour rêver d'autre chose, ici.
Elle veut respirer autre chose, loin des trahisons, loin de la violence, loin de ceux dont elle se cache lorsqu'elle rentre une fois la nuit tombée.

Mardi 1er septembre 2009 à 11:45

Je ne viendrai plus.
Ca ne sert à rien de se voiler la face, toi et moi ce n'est plus possible, nous ne cherchons pas la même chose, et ça fait plus de mal que de bien. Avant je pensais qu'une nuit de plus avec toi, à n'importe quel prix, c'était toujours ça de gagné ; maintenant je sais qu'une nuit de plus avec toi, pour rien, c'est encore ça de perdu. Ce n'est pas que tu n'en vaux pas la peine, loin de là. Mais pense à la solitude, quand en te quittant je te regarde t'éloigner sur le quai du métro sans même te retourner, sans même me sourire. Pense à mes mains qui tremblent dans le RER et à mes yeux pleins de larmes qui ne coulent pas.
Ce n'est pas de ta faute, c'est moi qui l'ai voulu, cette tristesse et cette violence. Je ne t'en veux pas, c'est uniquement de ma faute. Je pensais que je pourrais te regarder en riant comme si tout allait bien, je pensais que je pourrais cacher l'amertume et la tristesse, mais je ne le peux pas. Alors je ne viendrai plus. Même à toi, je sais que je ne t'apporte rien de bon. J'ai besoin de respirer. J'ai besoin de partir avant de finir par me mépriser, par te mépriser, avant que tu perdes tout respect pour moi.
Sois heureux, trouves-toi une chouette fille que tu rendras heureuse et qui te le rendras bien. Surtout, restes fidèle à toi-même, car les autres passeront, mais toi tu devras t'affronter dans la glace tous les matins. Prends soin de toi, Manuel, penses un peu à moi si tu le veux bien. Si tu me cherches, tu sais où me trouver.
Mais je ne viendrai plus, plus comme ça, plus pour ça.
Il est trop tard pour les regrets, pour les larmes, et je ne veux pas abîmer plus que ça tout ce qu'il a pu se passer.
L'autre nuit, quand fidèle à ton habitude tu tenais ma tête dans le creux de ton cou en me caressant les cheveux et que tu me serrais fort dans tes bras, et que mes mains griffaient  ton dos, je t'ai fait mes adieux, muets et sans drame.

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